dimanche 30 octobre 2016

Neuf mois plus tard...

... me voilà là, au bord du gouffre. En face, l'autre rive. La question n'est pas de savoir si je dois réussir mon saut, ni quand, ni comment. Je pense savoir à peu près tout ça. La question est : est-ce que je suis capable d'y arriver ?

Lorsque je l'ai rencontrée et que je suis tombée amoureux d'elle, il y a 14 ans, je vivais encore chez mes parents. Puis, un an plus tard, j'ai déménagé dans mon premier et unique appart, à ce jour. Durant les premières années, elle vivait plus chez ses parents que chez moi, et j'ai perpétué, dans ce qui est vite devenu ma nouvelle caverne, qui avait directement succédé à la précédente, ma chambre à l'étage chez mes parents, les mêmes habitudes : ménage minimaliste, activités réduites au strict nécessaire. Mon seul plaisir se résumait à ses venues chez moi - pour lesquelles, je crois, je faisais un effort - et aux soirées avec ma bande d'amis, que je fréquente toujours.

Socialement, j'ai eu une première naissance en 95 environ, avec mes anciens amis du lycée. A la fac je n'ai jamais réussi à me faire des amis. En 2000, je suis né une deuxième fois aux yeux des autres. J'ai sollicité des gens pour me voir, et cette fois ci ça a accroché. je ne vois quasiment plus les premiers, à mon grand regret. Les derniers sont toujours là. Pas besoin de tests, de classements, de paroles, ils sont juste là, depuis 15-16 ans maintenant. Ils sont mon autre famille, mes frères, mes sœurs, mes cousins. Chacun est différent mais ils ont tous un point commun : moi. Je ne me pose pas la question de savoir si je compte pour eux, parce qu'ils sont toujours là. Pas besoin qu'ils me prouvent quoique ce soit, de grandes déclarations de leurs parts. J'ai juste besoin de savoir qu'ils sont là. Même à 400 kilomètres, même à 7000, je sais qu'ils ne sont jamais très loin.

Je me disais aussi la même chose pour Elle. 14 ans ! Quand Mitterand est mort, après deux septennats, j'ai mis du temps à réaliser que Chirac était le nouveau président, parce que pour moi il n'y en avait qu'un. Maintenant, changer de président ça va presque devenir un gimmick régulier dans les médias, comme les cartables trop lourds en septembre ou les régimes miracles au mois de mars. Lorsqu'elle est revenue de son année en Angleterre, à cause de moi l'ai-je appris récemment, elle est plus souvent restée chez moi. Jusqu'à s'installer définitivement, à mon grand plaisir. Mais je ne veux pas parler de ça. Juste d'un constat : on avait fusionné. On était Bil & Din, dans les listes d'invités nos noms étaient toujours accolés. Pour nous comme pour nos proches, on était inoxydables, gravés dans le marbre. Malgré les tempêtes, les secousses, rien ne pouvait ébrécher notre union. Même quand j'essayai moi-même, je n'y arrivais pas, et je m'étais résolu à ce que cette tâche demeure impossible. Ce qui nous liait était plus fort qu'un papier signé dans une mairie, plus fort peut-être même que les liens du sang : on était pareil. On avait adapté nos pas à ceux de l'autre.

Je ne veux pas m'étendre sur ce qui n'a pas marché, sur ce qui a fissuré cette indestructible coque qui semblait nous protéger du mauvais temps, et de celui qui passe, surtout. Non, le temps n'avait pas de prise sur nous, surtout sur Elle d'ailleurs. Nous n'avions pas changé en une décennie de vie commune. 14 ans - un tiers de ma vie - après nous avions toujours 24 et 27 ans. Peut-être était-ce cela, le vrai problème.

Le choc, c'est de se rendre compte que nos plus fortes certitudes n'étaient qu'illusions. Comme si on m'expliquait que la Tour Eiffel n'était pas française, que deux plus deux ne faisaient pas quatre, que l'eau ne mouillait pas. Si la chose qui nous maintenait à ce point à flot, si ce que nous avions en commun pouvait disparaitre aussi vite qu'un claquement de doigt, de quoi pouvons nous être surs désormais ? Regardez, je n'arrive pas à parler de moi à la première personne. Je n'arrive pas encore à penser à moi seul, je ne peux m'empêcher de l'inclure dans mon processus de changement. En même temps, ça l'affecte au moins autant que moi, et sans doute plus.

Il y a des choses qui ne changent peut-être pas tant que ça. Quand elle partait en visite dans sa famille et que je passais plusieurs jours seul, je profitais certes d'une certaine liberté, sur des choses négligeables : jouer ou écouter ma musique sans casque, m'endormir avec un film ou la télé allumée... mais le matin je ne dormais pas. Dès que je me réveillais une première fois, vers 6 ou 7h, je me rendormais quand elle était là. Il me suffisait d'enlacer le chaud doudou qui partageait mon lit, et c'était reparti. Là, j'ai beau me retourner dans tous les sens, je suis incapable de compléter mes nuits. Le manque de sommeil s'accumule et me pèse. Un grand lit ? La belle affaire. Je préfèrerais avoir une couchette SNCF et dormir mes 7-8h complètement.

Mais ce n'est pas le plus pesant parce qu'au fond, je n'ai jamais été un gros dormeur. Et puis les siestes, ça existe. Faudrait juste que j'en fasse de temps en temps. Non, ce qui me manque vraiment, malgré la disparition de mes sentiments profonds - à ma grande et récente surprise - c'est la complicité. Les habitudes de discussions. La certitude que je pouvais, quand je le voulais, lui parler de choses qui ne pouvait au fond intéresser personne, et probablement même pas elle empiriquement, soyons réaliste. Lui parler de la Guerre de Sept ans, peut-être une des plus importantes et pourtant méconnues des guerres de l'Histoire, qui n’intéresse que moi et quelques spécialistes
en France, grosso modo ? D'une scène particulièrement classieuse d'Assassin's Creed ? De mon boulot, des joueurs étranges que je croise en m'occupant des championnat bolivien ou danois, des anecdotes que je ne cesse d'y dénicher ? Des mes énervements perpétuels à propos de l'actualité ? Je savais que si ça n'avait pas été moi qui lui en parlait, elle s'en serait foutu comme de sa première aiguille. Mais c'était moi, alors elle écoutait. Je sentais que ce qui lui plaisait dans ces moments, plus gênants pour moi que pour elle, ce n'était pas le sujet que j'abordais, c'était moi qui lui parlait de choses qui me passionnaient. Elle souriait, rougissait, ses yeux brillaient. Je lui disais "quoi ?" Elle me disait "rien, j'adore". Ce n'était surement pas mes galipettes sur les toits de Venise en 1482 qu'elle adorait, je vous assure.

Tout cela me manque. A qui confier mes lubies ? Avant de la rencontrer, j'étais un ermite qui collectionnait les fiches d'Histoire, notait ses stats de foot dans des cahiers, dessinait des BDs, écrivait des bêtises, imaginant des histoires comme Tolkkien avant même de rencontrer son œuvre, et ne sortait que très peu. En dehors de ma certitude que jamais je ne toucherais le corps d'une femme de ma vie, ni même son esprit, j'étais persuadé que jamais je ne pourrais décrire les étoiles qui illuminaient le ciel de mon imagination à personne d'autre qu'à mon plafond, seul dans ma chambre. Les premières années avec elle, logiquement j'ai voulu paraitre normal, alors je n'ai pas forcément insisté là dessus. Mais je ne pouvais lui cacher l'évidence trop longtemps.

Je n'ai jamais été adapté à la vie. Depuis que tout le monde se moque de Thomas Thévenoud, secrétaire d'état au commerce extérieur pendant 9 jours en 2014, et de sa phobie administrative qui lui a fait avoir des problèmes avec le Fisc et l'avait contraint à la démission, je souffre un peu en silence à son propos. Je ne plains évidemment pas ce crétin qui n'aurait jamais du accepter ce poste avec autant de problèmes aussi graves à régler. Mais évidemment tout le monde s'est moqué de lui, tout le monde estimant bidon son excuse. Sauf que la phobie administrative, ça existe, je crois. En tous cas, c'est ce qui m’empêche d'ouvrir mes courriers dès que ce n'est pas écrit à la main sur l'enveloppe, à reporter toujours à plus tard le moindre geste officiel, la taxe d'habitation, les impôts, une lettre à envoyer... la vie quotidienne est écrite en chinois pour moi.

Avec elle, je surnageais. C'était un poids pour elle, un stress constant. Sans elle, vais-je y arriver ? Je vais bien devoir le faire. A 27 ans c'était déjà grave de ne pas y arriver seul. Alors à 41... je n'ai pas le choix.

Vais-je pouvoir changer ma nature ? C'est un débat que j'ai avec mes amis depuis un moment, eux qui essaient, en vain - je suis têtu par nature, là aussi - de me convaincre qu'on peut changer, que les gens peuvent changer. Sauf que je commence à avoir un peu de bouteille, et pourtant je n'ai jamais rencontré de gens qui avaient changé leur caractère profond, même si les épreuves de la vie, les rencontres, peuvent nous faire légèrement dévier de nos certitudes, et donc, parfois, certains de nos choix. Mais là je parle de la nature profonde, les gènes, le sur moi, le subconscient. Tout cela dirige tellement plus nos actions qu'on veut bien se l'avouer. On se berce d'illusion en pensant qu'on est maitre de nos émotions, de nos actes, de notre destin, mais au fond nous ne faisons qu'obéir à ce que notre instinct nous dicte de faire. Nos agissons en fonction de nos a priori, de nos priorités érigées parce que nous aimons, par notre éducation, par ce qui a marqué notre enfance, par l'acquis et l'inné. Notre intellect ne peut corriger que certaines choses à la marge, sociabilisant nos actes pour les faire paraitre... civilisés. Mais une mère protégeant son enfant, un père protégeant sa maison, un pays protégeant ses frontières, ce ne sont que des réactions animales, instinctives, provenant de notre subconscient et qui existent depuis la nuit des temps. Rien ne pourra jamais changer ça. Nous sommes tous différents, à la marge, mais partageant tous le même tronc commun.

Je vous avais déjà dis que je digressais trop ? Sale habitude, pas prête de changer celle là aussi.

Je ne dis pas que je n'ai pas changé. Les filles me terrifiaient, au point de littéralement les fuir, les prenant quasiment pour des êtres venues d'une autre planète ? Même si je me surprend encore parfois aujourd'hui à toujours penser cette dernière chose, aujourd'hui je suis 100 fois plus à l'aise de parler avec des filles avec des mecs. Les mecs, ces êtres patauds et sans allure, dont la pudeur encrasse le moindre des neurones au moment de vraiment parler de sujets vrais qui existent. Je le sais, je suis l'un d'entre eux. Parler avec une fille, c'est s'ouvrir à de nouvelles perspectives. A chaque réplique, on est surpris par les femmes, qui ne savent pas être prévisibles. Elles ne verront que rarement d'objection à nous dire la vérité en face, même s'il ne s'agit que de leur vérité. Sur ce plan là, elles nous surpassent, nous pauvres hommes préhistoriques obnubilés par les ballons et les voitures, de plusieurs strates intellectuelles. A quelques exceptions près évidemment, dans les deux camps.

Comme tout le monde j’abhorre les clichés, mais il y en a qui sont vérifiables. Comme la crise de la quarantaine par exemple, dont je déguste plusieurs part par jour, sa confiture dégoulinant perpétuellement sur mes choix depuis deux ans maintenant, m'obligeant à jeter à la benne tout ce qui en a été souillé. Sinon, comment expliquer mon opération du bide, aussi subite que nécessaire, à quelques mois de mon changement de décennie ? Et ce qui m'arrive maintenant ? Et le fait que j'ai abandonné le chignon, que je ne pense qu'à partir loin, à tout changer dans ma vie ? J'ai l'impression d'être un serpent qui aurait mis trop de temps à muer, et qui chercherait à se débarrasser de cette peau inutile au plus vite, pour passer à un autre niveau. Il faut que ça aille vite, que je sois vite quelqu'un d'autre. Vous vous rendez compte qu'hier j'ai passé une heure à faire du shopping - oui, du shopping, moi le roi de la micro sieste dans les magasins - pour me trouver une nouvelle casquette, alors que mon actuelle n'a que que quelques mois ? Et encore pire, encore plus inconcevable : je n'ai rien acheté, alors que deux ou trois d'entre elles m'allaient à peu près. Mais pas assez pour que je franchisse le pas. J'ai été PERFECTIONNISTE. Incroyable.

Même moi je ne me reconnais plus. Quand je me regarde dans un miroir, je me demande qui est ce type avec cette tronche de bouledogue, du à cet excédent de peau sur la tronche. Et si ce n'était que la tronche... Je ne sais plus qui je suis, qui j'étais, qui je dois devenir. Je ne suis plus sur de rien. Et si je perdais aussi mes amis ? Amis avec elle autant qu'avec moi, ils doivent déjà faire des choix, et nous aussi, quand ce n'est pas la vie elle-même qui s'en charge. Et si un jour je perds mon boulot, cette petite flamme subsistant en pleine tempête depuis bientôt 9 ans ? Il y a moins de trois semaines, j'aurais misé cher sur une réponse si on m'avait demandé ou je serais dans un ou deux ans : au même endroit, très probablement, malgré mes fortes envies de départ depuis des années. Aujourd'hui, je ne sais pas où je serais dans deux mois.

Poussé par le manque d'argent, je sais où je vais partir dans trois grosses semaines. Normalement. Dans l'ouest, à Nantes pour être précis, chez amis Zamo, dans un premier temps, avoir de dégoter une nouvelle grotte, plus civilisée je l'espère. Près de mes amis D'Ho, à Rennes. Près de mes parents, entre les deux. Du coup, je quitte mes amis parisiens, et ça me déchire le cœur. Moi qui enrageait de voir partir mes amis loin d'ici, un par un - ou plutôt deux par deux -, qui leur faisait la guerre pour qu'ils restent, me voilà maintenant à souhaiter que ceux qui ne sont pas encore partis nous rejoignent à leur tour. Une autre chose présumée certaine qui s'écroule. Parce que vivre sans eux, tout près, ce sera dur. Très dur. Comme c'était dur de vivre loin de ceux qui étaient partis, même si on se voyait de temps en temps.

Je suis Alice qui tombe dans le trou du Lapin. Je ne sais pas ce qui m'attends en bas mais une chose est sure, je peux toujours essayer de prévoir comment ça va se passer, je me planterais forcément. Alors j'essaie de ne pas y penser, mais je n'y arrive pas. Je me fais des films, j'imagine des situations. Mes amis sur place m'assurent qu'ils seront là pour moi, et je n'en doute pas une seconde. Mais je ne veux pas redevenir le boulet que j'étais pour Elle. Je dois me prendre en main, mais je ne m'en sens pas du tout capable. Je ne peux pas m'empêcher de m'imaginer dans 10 ans comme je l'étais avant, seul dans ma chambre chez mes parents, avec des posters bidons au mur, des livres sales que je n'ouvre jamais, des boites de pizza qui trainent... mais avec 30 ans de plus, ce qui serait encore plus pathétique. A Nantes ou ailleurs. Je ne sais pas, je ne sais plus rien. C'est ce qui est à la fois terrifiant et enivrant, excitant. Je m'imagine ça aussi fort que je la vois, Elle, réussir sa nouvelle vie. Rencontrer quelqu'un qui l'aime, qui la soutienne, la booste, l'inspire et lui permettre d'utiliser enfin son formidable potentiel imaginatif et créatif. Oui voilà j'ai trouvé une seule chose dont je suis sur et certain : sans moi, elle va s'en sortir. C'est évident.

Comme quoi écrire ce post avait du bon.

Je vous laisse.