dimanche 30 octobre 2016

Neuf mois plus tard...

... me voilà là, au bord du gouffre. En face, l'autre rive. La question n'est pas de savoir si je dois réussir mon saut, ni quand, ni comment. Je pense savoir à peu près tout ça. La question est : est-ce que je suis capable d'y arriver ?

Lorsque je l'ai rencontrée et que je suis tombée amoureux d'elle, il y a 14 ans, je vivais encore chez mes parents. Puis, un an plus tard, j'ai déménagé dans mon premier et unique appart, à ce jour. Durant les premières années, elle vivait plus chez ses parents que chez moi, et j'ai perpétué, dans ce qui est vite devenu ma nouvelle caverne, qui avait directement succédé à la précédente, ma chambre à l'étage chez mes parents, les mêmes habitudes : ménage minimaliste, activités réduites au strict nécessaire. Mon seul plaisir se résumait à ses venues chez moi - pour lesquelles, je crois, je faisais un effort - et aux soirées avec ma bande d'amis, que je fréquente toujours.

Socialement, j'ai eu une première naissance en 95 environ, avec mes anciens amis du lycée. A la fac je n'ai jamais réussi à me faire des amis. En 2000, je suis né une deuxième fois aux yeux des autres. J'ai sollicité des gens pour me voir, et cette fois ci ça a accroché. je ne vois quasiment plus les premiers, à mon grand regret. Les derniers sont toujours là. Pas besoin de tests, de classements, de paroles, ils sont juste là, depuis 15-16 ans maintenant. Ils sont mon autre famille, mes frères, mes sœurs, mes cousins. Chacun est différent mais ils ont tous un point commun : moi. Je ne me pose pas la question de savoir si je compte pour eux, parce qu'ils sont toujours là. Pas besoin qu'ils me prouvent quoique ce soit, de grandes déclarations de leurs parts. J'ai juste besoin de savoir qu'ils sont là. Même à 400 kilomètres, même à 7000, je sais qu'ils ne sont jamais très loin.

Je me disais aussi la même chose pour Elle. 14 ans ! Quand Mitterand est mort, après deux septennats, j'ai mis du temps à réaliser que Chirac était le nouveau président, parce que pour moi il n'y en avait qu'un. Maintenant, changer de président ça va presque devenir un gimmick régulier dans les médias, comme les cartables trop lourds en septembre ou les régimes miracles au mois de mars. Lorsqu'elle est revenue de son année en Angleterre, à cause de moi l'ai-je appris récemment, elle est plus souvent restée chez moi. Jusqu'à s'installer définitivement, à mon grand plaisir. Mais je ne veux pas parler de ça. Juste d'un constat : on avait fusionné. On était Bil & Din, dans les listes d'invités nos noms étaient toujours accolés. Pour nous comme pour nos proches, on était inoxydables, gravés dans le marbre. Malgré les tempêtes, les secousses, rien ne pouvait ébrécher notre union. Même quand j'essayai moi-même, je n'y arrivais pas, et je m'étais résolu à ce que cette tâche demeure impossible. Ce qui nous liait était plus fort qu'un papier signé dans une mairie, plus fort peut-être même que les liens du sang : on était pareil. On avait adapté nos pas à ceux de l'autre.

Je ne veux pas m'étendre sur ce qui n'a pas marché, sur ce qui a fissuré cette indestructible coque qui semblait nous protéger du mauvais temps, et de celui qui passe, surtout. Non, le temps n'avait pas de prise sur nous, surtout sur Elle d'ailleurs. Nous n'avions pas changé en une décennie de vie commune. 14 ans - un tiers de ma vie - après nous avions toujours 24 et 27 ans. Peut-être était-ce cela, le vrai problème.

Le choc, c'est de se rendre compte que nos plus fortes certitudes n'étaient qu'illusions. Comme si on m'expliquait que la Tour Eiffel n'était pas française, que deux plus deux ne faisaient pas quatre, que l'eau ne mouillait pas. Si la chose qui nous maintenait à ce point à flot, si ce que nous avions en commun pouvait disparaitre aussi vite qu'un claquement de doigt, de quoi pouvons nous être surs désormais ? Regardez, je n'arrive pas à parler de moi à la première personne. Je n'arrive pas encore à penser à moi seul, je ne peux m'empêcher de l'inclure dans mon processus de changement. En même temps, ça l'affecte au moins autant que moi, et sans doute plus.

Il y a des choses qui ne changent peut-être pas tant que ça. Quand elle partait en visite dans sa famille et que je passais plusieurs jours seul, je profitais certes d'une certaine liberté, sur des choses négligeables : jouer ou écouter ma musique sans casque, m'endormir avec un film ou la télé allumée... mais le matin je ne dormais pas. Dès que je me réveillais une première fois, vers 6 ou 7h, je me rendormais quand elle était là. Il me suffisait d'enlacer le chaud doudou qui partageait mon lit, et c'était reparti. Là, j'ai beau me retourner dans tous les sens, je suis incapable de compléter mes nuits. Le manque de sommeil s'accumule et me pèse. Un grand lit ? La belle affaire. Je préfèrerais avoir une couchette SNCF et dormir mes 7-8h complètement.

Mais ce n'est pas le plus pesant parce qu'au fond, je n'ai jamais été un gros dormeur. Et puis les siestes, ça existe. Faudrait juste que j'en fasse de temps en temps. Non, ce qui me manque vraiment, malgré la disparition de mes sentiments profonds - à ma grande et récente surprise - c'est la complicité. Les habitudes de discussions. La certitude que je pouvais, quand je le voulais, lui parler de choses qui ne pouvait au fond intéresser personne, et probablement même pas elle empiriquement, soyons réaliste. Lui parler de la Guerre de Sept ans, peut-être une des plus importantes et pourtant méconnues des guerres de l'Histoire, qui n’intéresse que moi et quelques spécialistes
en France, grosso modo ? D'une scène particulièrement classieuse d'Assassin's Creed ? De mon boulot, des joueurs étranges que je croise en m'occupant des championnat bolivien ou danois, des anecdotes que je ne cesse d'y dénicher ? Des mes énervements perpétuels à propos de l'actualité ? Je savais que si ça n'avait pas été moi qui lui en parlait, elle s'en serait foutu comme de sa première aiguille. Mais c'était moi, alors elle écoutait. Je sentais que ce qui lui plaisait dans ces moments, plus gênants pour moi que pour elle, ce n'était pas le sujet que j'abordais, c'était moi qui lui parlait de choses qui me passionnaient. Elle souriait, rougissait, ses yeux brillaient. Je lui disais "quoi ?" Elle me disait "rien, j'adore". Ce n'était surement pas mes galipettes sur les toits de Venise en 1482 qu'elle adorait, je vous assure.

Tout cela me manque. A qui confier mes lubies ? Avant de la rencontrer, j'étais un ermite qui collectionnait les fiches d'Histoire, notait ses stats de foot dans des cahiers, dessinait des BDs, écrivait des bêtises, imaginant des histoires comme Tolkkien avant même de rencontrer son œuvre, et ne sortait que très peu. En dehors de ma certitude que jamais je ne toucherais le corps d'une femme de ma vie, ni même son esprit, j'étais persuadé que jamais je ne pourrais décrire les étoiles qui illuminaient le ciel de mon imagination à personne d'autre qu'à mon plafond, seul dans ma chambre. Les premières années avec elle, logiquement j'ai voulu paraitre normal, alors je n'ai pas forcément insisté là dessus. Mais je ne pouvais lui cacher l'évidence trop longtemps.

Je n'ai jamais été adapté à la vie. Depuis que tout le monde se moque de Thomas Thévenoud, secrétaire d'état au commerce extérieur pendant 9 jours en 2014, et de sa phobie administrative qui lui a fait avoir des problèmes avec le Fisc et l'avait contraint à la démission, je souffre un peu en silence à son propos. Je ne plains évidemment pas ce crétin qui n'aurait jamais du accepter ce poste avec autant de problèmes aussi graves à régler. Mais évidemment tout le monde s'est moqué de lui, tout le monde estimant bidon son excuse. Sauf que la phobie administrative, ça existe, je crois. En tous cas, c'est ce qui m’empêche d'ouvrir mes courriers dès que ce n'est pas écrit à la main sur l'enveloppe, à reporter toujours à plus tard le moindre geste officiel, la taxe d'habitation, les impôts, une lettre à envoyer... la vie quotidienne est écrite en chinois pour moi.

Avec elle, je surnageais. C'était un poids pour elle, un stress constant. Sans elle, vais-je y arriver ? Je vais bien devoir le faire. A 27 ans c'était déjà grave de ne pas y arriver seul. Alors à 41... je n'ai pas le choix.

Vais-je pouvoir changer ma nature ? C'est un débat que j'ai avec mes amis depuis un moment, eux qui essaient, en vain - je suis têtu par nature, là aussi - de me convaincre qu'on peut changer, que les gens peuvent changer. Sauf que je commence à avoir un peu de bouteille, et pourtant je n'ai jamais rencontré de gens qui avaient changé leur caractère profond, même si les épreuves de la vie, les rencontres, peuvent nous faire légèrement dévier de nos certitudes, et donc, parfois, certains de nos choix. Mais là je parle de la nature profonde, les gènes, le sur moi, le subconscient. Tout cela dirige tellement plus nos actions qu'on veut bien se l'avouer. On se berce d'illusion en pensant qu'on est maitre de nos émotions, de nos actes, de notre destin, mais au fond nous ne faisons qu'obéir à ce que notre instinct nous dicte de faire. Nos agissons en fonction de nos a priori, de nos priorités érigées parce que nous aimons, par notre éducation, par ce qui a marqué notre enfance, par l'acquis et l'inné. Notre intellect ne peut corriger que certaines choses à la marge, sociabilisant nos actes pour les faire paraitre... civilisés. Mais une mère protégeant son enfant, un père protégeant sa maison, un pays protégeant ses frontières, ce ne sont que des réactions animales, instinctives, provenant de notre subconscient et qui existent depuis la nuit des temps. Rien ne pourra jamais changer ça. Nous sommes tous différents, à la marge, mais partageant tous le même tronc commun.

Je vous avais déjà dis que je digressais trop ? Sale habitude, pas prête de changer celle là aussi.

Je ne dis pas que je n'ai pas changé. Les filles me terrifiaient, au point de littéralement les fuir, les prenant quasiment pour des êtres venues d'une autre planète ? Même si je me surprend encore parfois aujourd'hui à toujours penser cette dernière chose, aujourd'hui je suis 100 fois plus à l'aise de parler avec des filles avec des mecs. Les mecs, ces êtres patauds et sans allure, dont la pudeur encrasse le moindre des neurones au moment de vraiment parler de sujets vrais qui existent. Je le sais, je suis l'un d'entre eux. Parler avec une fille, c'est s'ouvrir à de nouvelles perspectives. A chaque réplique, on est surpris par les femmes, qui ne savent pas être prévisibles. Elles ne verront que rarement d'objection à nous dire la vérité en face, même s'il ne s'agit que de leur vérité. Sur ce plan là, elles nous surpassent, nous pauvres hommes préhistoriques obnubilés par les ballons et les voitures, de plusieurs strates intellectuelles. A quelques exceptions près évidemment, dans les deux camps.

Comme tout le monde j’abhorre les clichés, mais il y en a qui sont vérifiables. Comme la crise de la quarantaine par exemple, dont je déguste plusieurs part par jour, sa confiture dégoulinant perpétuellement sur mes choix depuis deux ans maintenant, m'obligeant à jeter à la benne tout ce qui en a été souillé. Sinon, comment expliquer mon opération du bide, aussi subite que nécessaire, à quelques mois de mon changement de décennie ? Et ce qui m'arrive maintenant ? Et le fait que j'ai abandonné le chignon, que je ne pense qu'à partir loin, à tout changer dans ma vie ? J'ai l'impression d'être un serpent qui aurait mis trop de temps à muer, et qui chercherait à se débarrasser de cette peau inutile au plus vite, pour passer à un autre niveau. Il faut que ça aille vite, que je sois vite quelqu'un d'autre. Vous vous rendez compte qu'hier j'ai passé une heure à faire du shopping - oui, du shopping, moi le roi de la micro sieste dans les magasins - pour me trouver une nouvelle casquette, alors que mon actuelle n'a que que quelques mois ? Et encore pire, encore plus inconcevable : je n'ai rien acheté, alors que deux ou trois d'entre elles m'allaient à peu près. Mais pas assez pour que je franchisse le pas. J'ai été PERFECTIONNISTE. Incroyable.

Même moi je ne me reconnais plus. Quand je me regarde dans un miroir, je me demande qui est ce type avec cette tronche de bouledogue, du à cet excédent de peau sur la tronche. Et si ce n'était que la tronche... Je ne sais plus qui je suis, qui j'étais, qui je dois devenir. Je ne suis plus sur de rien. Et si je perdais aussi mes amis ? Amis avec elle autant qu'avec moi, ils doivent déjà faire des choix, et nous aussi, quand ce n'est pas la vie elle-même qui s'en charge. Et si un jour je perds mon boulot, cette petite flamme subsistant en pleine tempête depuis bientôt 9 ans ? Il y a moins de trois semaines, j'aurais misé cher sur une réponse si on m'avait demandé ou je serais dans un ou deux ans : au même endroit, très probablement, malgré mes fortes envies de départ depuis des années. Aujourd'hui, je ne sais pas où je serais dans deux mois.

Poussé par le manque d'argent, je sais où je vais partir dans trois grosses semaines. Normalement. Dans l'ouest, à Nantes pour être précis, chez amis Zamo, dans un premier temps, avoir de dégoter une nouvelle grotte, plus civilisée je l'espère. Près de mes amis D'Ho, à Rennes. Près de mes parents, entre les deux. Du coup, je quitte mes amis parisiens, et ça me déchire le cœur. Moi qui enrageait de voir partir mes amis loin d'ici, un par un - ou plutôt deux par deux -, qui leur faisait la guerre pour qu'ils restent, me voilà maintenant à souhaiter que ceux qui ne sont pas encore partis nous rejoignent à leur tour. Une autre chose présumée certaine qui s'écroule. Parce que vivre sans eux, tout près, ce sera dur. Très dur. Comme c'était dur de vivre loin de ceux qui étaient partis, même si on se voyait de temps en temps.

Je suis Alice qui tombe dans le trou du Lapin. Je ne sais pas ce qui m'attends en bas mais une chose est sure, je peux toujours essayer de prévoir comment ça va se passer, je me planterais forcément. Alors j'essaie de ne pas y penser, mais je n'y arrive pas. Je me fais des films, j'imagine des situations. Mes amis sur place m'assurent qu'ils seront là pour moi, et je n'en doute pas une seconde. Mais je ne veux pas redevenir le boulet que j'étais pour Elle. Je dois me prendre en main, mais je ne m'en sens pas du tout capable. Je ne peux pas m'empêcher de m'imaginer dans 10 ans comme je l'étais avant, seul dans ma chambre chez mes parents, avec des posters bidons au mur, des livres sales que je n'ouvre jamais, des boites de pizza qui trainent... mais avec 30 ans de plus, ce qui serait encore plus pathétique. A Nantes ou ailleurs. Je ne sais pas, je ne sais plus rien. C'est ce qui est à la fois terrifiant et enivrant, excitant. Je m'imagine ça aussi fort que je la vois, Elle, réussir sa nouvelle vie. Rencontrer quelqu'un qui l'aime, qui la soutienne, la booste, l'inspire et lui permettre d'utiliser enfin son formidable potentiel imaginatif et créatif. Oui voilà j'ai trouvé une seule chose dont je suis sur et certain : sans moi, elle va s'en sortir. C'est évident.

Comme quoi écrire ce post avait du bon.

Je vous laisse.

lundi 25 janvier 2016

L'Amérique... jour 7


Bon et si je me mettais - enfin ! - à la rédaction de notre journée à Boston ? Il serait temps en effet... certains évènements - personnels ou nationaux - m'ont légèrement retardé, mais pas autant que la flemme et les jeux vidéos, soyons tout à fait honnête.
Après cette journée passée à chasser les phares, nous quittons notre cottage adoré et la Maine pour la grande ville et le Massachussets. Et oui, avant que vous le demandiez, rien que le fait d'aller dans le Massachussets nous a donné envie d'écouter le morceau du même nom des Bee Gees, oui celui-là bande d'ignares. D'ailleurs on ne s'en est pas privé dans la voiture, durant ce trip sur les gigantesques autoroutes américaines. Oui je l'ai déjà dit que tout était énorme là-bas, des routes jusqu'aux bagnoles en passant par les tubes de dentifrices, celui que j'ai acheté début octobre à New York venant à peine de rendre sa dernière goutte... mais tant qu'on y est pas allé on a du mal à imaginer.

Mais avant de quitter le Maine, sur le chemin nous sacrifions aux obligations touristiques locales en visitant une petite ville "typique" du coin, au nom inimitable de Kennebunkport. C'est aujourd'hui une ville touristique, ça se voit au nombre de boutiques de souvenirs qui composent son centre ville, ainsi qu'au nombre de touristes qui arpentent leurs rayons. Mais son succès est aussi du au fait qu'elle a su parfaitement conserver son visage de ville typique du Maine, située non loin de la mer, à l'économie essentiellement basée sur la pêche (et aujourd'hui le tourisme, certes). Les maisons sont basses, en bois, parfois montées sur pilotis... promis c'est la dernière fois que je vous bassine avec Stephen King, mais si vous voulez voir dans quelle atmosphère se déroulent beaucoup de ses premiers romans, il faut aller das une ville comme celle-ci. En plus, la proximité d'Halloween, à l'époque, rajoute un peu à l'ambiance générale du lieu...

Bref on y passe la matinée, on fait le tour, on investit une boutique où on fait quelques achats... c'est là qu'on se rend compte qu'il s'agit d'un des véritables bastions républicains du pays. Des t shirts en faveur des Bush, dont elle est un des lieux, sinon le lieu de villégiature, et contre Obama, sont omniprésents dans les rayons du magasin. Moi je me contente d'acheter un t shirt avec un requin dessus, tellement plus sympathique... par ailleurs, et ça on le constatera plusieurs fois par ailleurs, les Américains, contrairement à ce qu'on pourrait croire, et notamment venant de Républicains notoires, adorent parler avec des Français, et la vendeuse nous offre aussitôt une petite ristourne sur nos achats parce qu'elle est déjà allée à Marseille une fois, ou je sais plus où. Ou alors c'est juste parce que pour eux, le commerce y a rien de plus important et qu'ils seraient prêts à faire pareil pour des Irakiens si ces derniers avaient des sous...

Bref je vais pas passer mon post sur Kennebunkport parce que sinon qu'est-ce que ça va être pour Boston...

Nous reprenons donc la route. Deux heures plus tard environ, nous voilà dans les faubourgs du berceau de la Révolution Américaine. J'ai les poils qui se dressent, tout comme les premiers buildings, signe que nous pénétrons bel et bien une grande ville américaine. Là-bas, gros patelin signifie buildings interminables, c'est comme ça ils peuvent pas s'en empêcher. Et là-bas comme à New York, ça fait vite son petit effet, d'immensité, d'élégance, de puissance. C'est impressionnant, tout simplement.

Après avoir laissé Z et les petits visiter le musée des jouets de la ville, activité qui va les occuper un petit moment, nous garons notre Chrysler dans un parking. Là encore, nous touchons du doigt l'incroyable bonne humeur naturelle des Américains, cet optimisme, ce sourire quasi automatique, avec le mec chargé de garer notre voiture. Oui oui, on refile la clé de notre voiture de location à un type qu'on croise à l'entrée du parking, et il va nous la garer. Oui vous pouvez le dire, on aime le risque nous, on est des fadas. En tous cas le mec est souriant, drôle et mort de rire devant notre tête effarée devant ce système improbable, alors qu'il a pas forcément le job du siècle. Il nous donne un ticket, et c'est parti pour la visite...

Je vous le dit tout de suite, si Boston est une des grandes villes américaines, en tous cas au niveau de la notoriété - il s'agit de la 10e agglomération du pays avec 4,5 millions d'âmes, mais "seulement" 600 000 pour la ville même - , c'est loin d'être le cas de son centre et de ses principales attractions touristiques, qui se visitent en moins d'une journée. Tout de suite, on se dirige vers le Boston Common, le grand parc qui fait le lien entre les beaux quartiers, à l'ouest, et la vieille ville - qui va fêter ses quatre siècles dans 14 ans -, au nord est. On ramasse quelques cartes touristiques, et mon œil y est tout de suite accroché par le tracé du Freedom Trail, dont m'avait parlé mon ami D, resté à Montréal mais qui a déjà visité la ville avec A, et qui permet de visiter tous les lieux historiques de la Révolution Américaine qui pullulent dans tout le centre bostonien. Vu que je suis un peu venu pour ça - très égoïstement, je le concède, mais je ne suis pas sûr de revenir souvent à Boston dans ma vie future - je suis très excité, et je force un peu mes trois compagnons, pas forcément aussi passionnés que moi par l'Histoire, Am, M et son fils P, à suivre également ce chemin illustré au sol par une ligne de pavés. Elle part d'un type habillé comme à l'époque de Benjamin Franklin et qui, au vu des froid et du vent, doit avoir les coucougnettes dans le même état aujourd'hui que celles du glorieux inventeur et signataire de la déclaration d'indépendance : très, très ridées, et toutes petites.

Défilent alors devant nous, perdus au milieu des tours de verre qui découpent la grisaille du ciel, une série de bâtiments vieux de trois siècles pour la plupart, complètement irréels dans ce paysage ultra moderne, qui marque encore plus leur ancienneté et leur authenticité, si c'était possible. Le State House, le très vieux cimetière de King's Chapel, ses tombes multi centenaires, la statue de Benjamin Franklin, la Old South Meeting House... moi, pour tout vous dire, je veux surtout voir deux trucs : le site de la bataille de Bunker Hill - ce sera fait plus tard - et celui du Massacre de Boston, véritable coup d'envoi des évènements de la Révolution Américaine, marqué par une dalle devant l'Old State House, le plus ancien immeuble de la ville, lui aussi complètement irréel au milieu de ses jeunes et immenses successeurs.

Mon émotion quand nous parvenons en ce lieu où s'est joué, même si ça peut paraître exagéré mais pas tant que ça, au vu de l'influence de l'Amérique indépendante depuis plus de deux siècles, une partie de l'avenir du monde, est assez intense. Les lieux historiques comme ceux-ci, sont habités certes avant tout par les millions de touristes comme moi qui viennent polluer le coin avec leurs selfies, leurs chaussures de marche et leur nez en l'air, mais surtout par les fantômes de ceux qui ont écrit l'Histoire, parfois par leur sang, leur intransigeance, leur persévérance. Certes, comme notre Révolution, celle des Américains est avant tout une révolte de bourgeois fâchés d'être un peu trop écrasés d'impôts, et qui parviennent à mobiliser le peuple pour qu'ils défendent leurs petits intérêts. Mais l'Histoire d'un pays majeur s'y est joué en partie ici, sous l'égide des fils de la liberté, et moi ça me touche.

Après toutes ces émotions - et ces kilomètres avalés en plein vent humide - il est temps de nous poser pour manger. Nous nous arrêtons au Faneuil Hall - prononcez Fanouille - , qui fait également partie du Freedom Trail, en tant qu'ancienne salle de réunion, notamment pour les fils de la Liberté qui ont mené la révolte, Samuel Adams (dont la statue nous accueille devant le bâtiment) en tête. Aujourd'hui, c'est un lieu ultra touristique ou une armée de visiteurs venus du monde entier parcoure le grand couloir composé exclusivement de snacks et de restaurants, et coupé en son centre par un grand hall en forme de dôme où ces mêmes visiteurs se disputent les tables disponibles pour manger et se reposer.

Nous mangeons nos bagels, puis j'abandonne mes compagnons qui ont d'autres idées en tête. Lassés, on peut les comprendre, par ma chasse aux vieilles pierres et autres fantômes, ils ont décidé de visiter d'autres quartiers plus attrayants. Nous nous fixons un lieu et une heure de rendez-vous en fin d'après-midi, à l'ancienne - c'est-à-dire sans aide véritable de nos téléphones qui coutent chers en pays étrangers - et me voilà parti dans une de mes marottes favorites : la visite d'une ville étrangère, tout seul, livré à moi-même. Mon excitation est à son comble.

C'est que je suis loin d'avoir exploité à fond le Freedom Trail, et au fur et à mesure que je me rapproche de la mer, qui n'est de toutes façons jamais très loin, les bâtiments anciens se font plus présents, les rues moins droites, l'impression de voyager à une autre époque presque plus réelle. Faut y croire, mais c'est possible. Ma prochaine étape, c'est la maison de Paul Revere. Mais laissez-moi tout d'abord vous parler d'Assassin's Creed III. Si si je vous jure, je vous en ai déjà parlé et c'est intéressant. J'en ai pour une seconde.

Cinquième opus de la série malgré son numéro, il se déroule d'abord durant la Guerre de 7 ans - elle en a duré 9 -, premier véritable conflit mondial puisqu'il a mobilisé trois continents au minimum et qui a vu la France, pourtant surpuissante militairement et aidée par les populations indiennes locales, s'incliner contre les Anglais dans le nord est américain et ainsi perdre quasiment toutes ses possessions du Nouveau Monde, hormis quelques îles. Mais cette victoire britannique a coûté très cher à la couronne, qui du coup se tourne vers les bourses des colons qu'ils ont "défendu" contre les Français. Ce qui provoque la colère légitime des colons, qui ne sont pas représentés au parlement à Londres mais qui doivent quand même cracher au bassinet, puis, à terme, la Révolution. L'Histoire c'est génial, tout est lié. Vous suivez ?

Donc au début le jeu se déroule dans les années 1750 puis vingt ans plus tard, à l'orée de la Révolution. Et c'est là que l'on vit littéralement tous ces évènements : on assiste au Massacre de Boston, on participe directement à la Boston Tea Party, premier acte concret des Patriotes, en jetant nous mêmes des caisses de thé dans le port tout en défendant les leaders de la révolte, on parcours au péril de notre vie les champs de bataille de Lexington, Concord, Bunker Hill, Monmouth... et on rencontre Paul Revere dans sa maison, qu'on peut admirer de l'extérieur, tellement elle est parfaitement reproduite. Cette dernière tient toujours debout, c'est désormais un musée dédié à son ancien propriétaire et mes pas fébriles se dirigent vers cette dernière à cet instant précis, tout en laissant derrière moi la forêt de buildings. Je rentre dans le vieux Boston, le vrai, à taille humaine.

La maison est indiquée par des petits panneaux, qui me mènent à une rue presque ordinaire, hormis la vieille maison de planches bleues qui s'y trouve. Il y a du monde mais pas trop, le temps de dépenser 3 dollars pour y rentrer et c'est fait. Alors oui, il s'agit d'une visite à la queueleuleu, on admire de loin la reconstitution de la cuisine, de la salle à manger, de la chambre, on lit les textes... ça dure pas très longtemps, ça ne vous explose pas à la tronche niveau spectacle, mais c'est intéressant, même si les photos étaient interdites. Et c'est HIS-TO-RI-QUE. Paul Revere, c'est ce type un peu fallot qui a pris son cheval une nuit pour parcourir la cambrousse, et prévenir les patriotes que les Anglais arrivaient pour leur botter les fesses - "the red coats are coming !". Grâce à lui, ils ont pu se regrouper et résister face aux troupes anglaises, et remporter la première bataille de la Guerre d'indépendance, Lexington et Concord. Et il avait une maison sympa.

La preuve qu'il est aussi populaire et mythique de ce côté de l'Atlantique qu'inconnu du notre, je le recroise un peu plus loin à l'entrée d'une rue piétonne qui porte son nom, le Paul Revere Mall. Le mec est à cheval et il a une certaine classe. Plus que moi et ma capuche serrée jusqu'au nez en tous cas. Parce qu'on est à Boston et qu'à Boston, ben il pleut je vous ferais dire. Bref, au bout du mall de Paul Revere je m'arrête à la Old North Church pour effectuer une de mes autres marottes favorites, l'achat de vieilles cartes pour la future grande pièce que à moi où j'afficherais toutes les cartes que j'ai acheté dans ma vie, un jour. Après un dernier cimetière, le Copp's Hill Burying Ground, me voici plein nord, prêt du Charleston Brigde, que je compte bien traverser à pied au dessus de la Charles River, en direction du clou de ma journée : le Bunker Hill Monument.

Je sais c'est long, mais c'est bientôt fini, promis. Vous allez bientôt pouvoir redonner des nouvelles à vos proches. Moi ça fait bien deux heures que je suis sur ce post interminable et j'ai encore les photos à mettre...

La traversée est dantesque. Je suis battu par les vents, le pont métallique vibre drôlement à chaque passage de voiture, tandis que je laisse derrière moi le centre de Boston pour atteindre Charleston, ancienne ville et désormais quartier de Boston, où s'est déroulé le plus dantesque et peut-être le plus important affrontement de la Guerre d'indépendance américaine. Où une poignée de héros américains comme les USA les adulent ont certes perdu une bataille, mais ont tenu en échec des troupes britanniques deux fois plus nombreuses et évidemment mieux entrainées et équipées, décidées à forcer le siège de la ville entretenu par les Patriotes. Les débats furent sanglants, mais surtout pour les Anglais - 1000 morts sur 2600, contre 100 morts sur 1500 défenseurs. La définition même de la victoire à la Pyrrhus. Grâce à cette "défaite", les Patriotes ont pu se replier parfaitement, ce qui a permis les futurs succès de l'armée menée par George Washington. Si les révolutionnaires avaient été massacrés par les Anglais ce jour là, comme prévu, il n'y aurait pas eu d'indépendance, pas d'États-Unis libres. Quel visage aurait le monde aujourd'hui si les Anglais l'avaient emporté ?

Après avoir traversé l’extrêmement pimpante et charmante Charleston - je déconne pas, c'est très joli - j'arrive enfin sur la colline de Breed Hill, où se sont déroulés les combats. Oui la bataille s'appelle Bunker Hill, mais ils se sont gourés de colline... du coup la bataille a gardé le mauvais nom de colline. Pas grave, la colonne qui me surplombe de 67 mètres, au milieu d'une pelouse, est quand même impressionnante. Je rentre dans le bâtiment qui recouvre ses pieds, et c'est là que j'apprends qu'un escalier interne permet d'atteindre son sommet. A l'époque j'avais déjà perdu une cinquantaine de kilos, je courrais déjà un peu, donc allons-y, qu'est-ce que j'attends ?

294 marches plus tard, j'ai envie de mourir tellement mes poumons me brulent, mais la vue sur Boston, en face, malgré la pluie, est superbe. Vraiment, je suis content de ma journée, qu'il me reste à terminer. Je veux d'abord visiter un bateau posté non loin de là, l'USS Constitution, qui date de cette époque et qui est aujourd'hui le plus vieux navire de guerre encore à flot au monde, rien que ça. Croyez-le ou non, pour le visiter je dois passer les mêmes contrôles que pour prendre un avion... le bateau en lui même n'a rien d'exceptionnel, et mon timing pour retrouver les autres au Boston Common commence à être serré, donc j’expédie tout ça et repars vers la ville, en envoyant un texto payant pour dire où j'en suis.

Dans Boston, je passe devant le TD Garden, qui est déjà moins historique, puisqu'il s'agit de la grande salle omnisports de la ville, elle-même très sportive, où évoluent notamment les basketteurs des Celtics ou les hockeyeurs des Bruins. Je traverse ensuite le très charmant quartier de Beacon Hill, tout en pente, en pavés et en petites maisons coloniales, que mes amis ont visité plus tôt dans l'après-midi. Je les retrouve frigorifiés par mon retard près de la statue de George Washington. Je récupère mon Amour pour une petite visite d'un dernier quartier, Back Bay, tout en grandes avenues vertes longées par des bâtiments cossus. Après avoir retrouvé Z, M et leurs mômes vers Copley Square - de mémoire - nous reprenons notre voiture pour filer à notre hôtel, dans la grande banlieue bostonienne.

J'ai passé une putain de journée, et peut-être battu mon record en terme de longueur de post. Encore désolé. A plus pour la suite !