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vendredi 30 janvier 2009

Corsica


Salut à tous,

Aujourd'hui, je vais prendre un peu d'avance sur la rédaction future et évidemment inévitable de mes mémoires. Comment peut-on imaginer que des vieillards de 80 ans puissent se rappeler de ce que leur oncle leur a confié, 70 ans plus tôt, ou ce que leur a dit exactement leur femme 10 ans plus tard ? Ils ont évidemment pris des notes. Moi, déjà, j'ai l'impression que mon enfance nage dans un brouillard insondable, d'ou sortent parfois des souvenirs confus et plus ou moins flous avant de disparaître à nouveau, alors j'imagine dans 40 ans... c'est limite si je saurais que j'ai été un môme, un jour.

Quand j'étais gamin, je partais tous les étés en colonie, grâce aux bons offices du CE de la Régie Renault, vous savez, cette entreprise historique qui profite de la crise pour envoyer en pré retraite des ouvriers qui ont presque 40 ans d'ancienneté, avec une prime et trois ans de chômage derrière comme remerciement. Bref, j'ai donc pu découvrir, en plus de l'Egypte pour la dernière, plein de coins de France, notamment l'Ile d'Oléron (mauvais souvenir, j'y reviendrais peut-être, un jour de déprime...), la Drôme... et la Corse. C'était en 1991, et j'avais 16 ans. Et c'est là qu'on sait qu'on vieillit, c'est quand on se rend compte que nos souvenirs ont pris un coup de vieux. Un truc impossible avant nos trente ans.

La Corse... dire que c'est un endroit magnifique serait d'abord un peu réducteur, et ensuite une évidence quelque peu éculée. La Corse est magnifique, c'est un fait. Moi ce qui m'a marqué, c'est qu'on n'avait quasiment pas vu de Corses en Corse. Je sais pas s'ils étaient tous cachés dans les montagnes, ou s'il y avait un match à Furiani (un match de 3 semaines, c'est long), ou alors si c'était NOUS qui n'allions pas aux bons endroits... effectivement, on a passé beaucoup de temps dans les Trafics dans lesquels nous avons fait le tour de l'Île.

La Corse, c'est une montagne qui sort de l'eau. Du coup, quand vous vous baignez sur certaines plages, vous faites 10 mètres, vous avez déjà plus pied. De la plage de Porto, ou l'eau est si pure que certaines pubs y ont été tournées (pour un ricard notamment...), on voit si bien le Mont Pinto, le sommet de l'Île, qu'on a l'impression qu'il suffit de prendre un funiculaire en sortant de l'eau pour y arriver.

Je me souviens des routes serpentant entre les montagnes, on écoutait la BO du Grand Bleu quand on roulait, et du demi-tour incroyablement périlleux qu'on avait du faire sur une chaussée large comme le camion était long... je me souviens de Corte, une des rares villes importantes qui ne soit pas sur la côte, dans laquelle les monos nous avaient lâché pour un après-midi, avec 25 francs en poche chacun pour manger.

Je me rappelle de la vallée de la Restonica, qu'on avait parcourue à pieds. Un matin, un âne, que j'avais caliné l'instant d'avant, m'avait botté le cul une fois le dos tourné, je m'étais retrouvé par terre deux mètres plus loin et le fondement en fleur... On devait par ailleurs accrocher nos sacs aux arbres, histoire que les cochons sauvages ne nous les piquent pas. On s'était baigné dans une rivière à l'eau gelée et pure, c'était absolument merveilleux comme sensation, que j'ai redécouvert cet été au Pays Basque. On avait aussi pique-niqué au bord d'un lac de montagne, et on avait du rentrer en courant à travers la montagne tandis qu'un orage atroce nous tombait dessus... miraculeusement, on n'avait perdu personne.

Je me rappelle qu'un jour une fille était venue me voir - malgré ma casquette objectivement repoussante et qui disait "parlez-moi de moi" - parce qu'elle avait entendu dire que j'aimais bien le hard rock. Et là, peu habitué à approcher de si près un de ces êtres aussi étrange et fascinant, j'avais séché. Du coup, elle était repartie sans rien dire. Ma vie sexuelle aurait pu donc être tout autre, si j'avais pu citer autre chose que AC/DC. A quoi ça tient...

Je me rappelle aussi que je m'étais fait un copain marseillais, le petit minot tout moche avec l'accent de Paganelli, et que j'avais chambré en disant qu'Olmeta avait été nul lors de la séance des tirs aux buts contre l'Etoile Rouge de Belgrade, quelques semaines plus tôt, constat qu'il partageait avec moi, vu qu'il était Marseillais et pas Corse, comme Olmeta. Olmeta... mais oui vous connaissez, c'est l'idole des ménagères depuis sa performance remarquée dans "la Ferme". Sauf qu'à l'époque il avait plus le look d'Agassi que de monsieur Loyal, et il se prenait des lobs après ses montées hors de ses buts, à ma grande hilarité.

Je me rappelle de la fin du séjour, on en profitait pour noter les adresses de gamins auxquels on n'écrirais jamais. Gros regret d'aujourd'hui, évidemment... en même temps on ne le fait pas exprès, c'est comme ça... des couples s'étaient formés, évidemment, et je me souviens de quelques crises de larme hystérique assez marquantes.

C'était bien.

Je vous laisse.

jeudi 9 octobre 2008

Super Pato begins


La petite famille rentre de Bretagne.

Ils ne sont pas encore six, le dernier des quatre garçons naîtra un an plus tard, neuf ans après son plus jeune grand frère. Les trois gamins ne sont pas particulièrement turbulents. Enfin, pas tous. L'aîné, qui n'a qu'à que treize ans mais que les jambes déjà longues "obligent" - il aime ça, donc le sacrifice est relatif - à s'asseoir devant dans la voiture, à côté de son père, qui écluse les gitanes sans filtre comme son fils les tablettes de chocolat, déjà, est sage, il ne dit rien. Il n'est pas encore obèse, mais il se porte déjà bien.

La famille a amené le chien, Pato, un vieux cocker noir qui a la particularité d'avoir juste une petite boule de poils en guise de queue. Pato a un an de plus que l'aîné de la famille, et ça n'a évidemment pas la même importance pour un chien : pour un ado, c'est le début, le commencement, même s'il croit qu'il sait déjà tant.

Ce gamin, que tous ses professeurs ont annoncé comme brillant à des parents évidemment ravis, est inquiet : Pato, avec qui il a été élevé, à qui il a tiré sur les oreilles, les babines, les pattes, les poils, sans que le toutou ne rechigne jamais, Pato qui a été jusque là l'ami le plus fidèle qu'il ai jamais eu - en fait, le seul ami que ce garçon taciturne et solitaire ai jamais eu dans sa courte vie -, bref, Pato, le vieux cocker, n'a pas l'air bien.

Ce n'était encore qu'un chiot quand le blondinet est né. Ce dernier l'a torturé, lui a surement réservé ses premières paroles, ses premières histoires, ses premiers secrets. Mieux qu'un ours en pluche, mieux qu'un GI Joe, un chien, qui remue sa petite queue quand on s'apprête à le sortir, et qui ne protestera jamais du traîtement dictatorial que l'enfant lui soumettra à longueur de journées.

La famille s'arrête sur la route, il faut faire pisser et manger le chien. Les hommes ont également envie de signer leur passage, tandis que la mère reste stoïquement dans la voiture familiale, insensible au protocole tout à fait masculin du pipi debout dans les fourrés. Mais Pato, qui, comme tous les chiens, a toujours été un morfale, ne veut pas sortir de la voiture, d'ailleurs il n'a pas vraiment envie de bouger. Il regarde ses maîtres d'un air de dire "non mais sérieusement, vous avez pas autre chose à faire que venir m'emmerder ?" Un regard de vieux à qui on propose d'aller se ballader alors que tout ce qu'il veut, c'est regarder Drucker peinard. Ces jeunes et leurs lubies...

Le père, dont le mot "diplomatie" ne figure pas dans le vocabulaire, tire sur la laisse, et traîne le chien jusqu'à sa gamelle. Celui-ci dirige sa truffe vers la bouillasse qui lui sert de nourriture depuis deux septennats (il est né quelques jours après l'élection de Giscard) et regarde ailleurs, comme si on lui avait proposé de regarder un tableau de grand maître. Le garçon, qui ne comprends pas ce qui se passe, s'approche de son frère de couches et le pousse, prends le museau du chien et le plante dans la gamelle, en lui parlant doucement. Rien ne se passe, les babines restent closes, Pato n'a pas envie de manger. Tout simplement impossible, une première totalement inédite. Etrangement, s'il s'est traîné vers la gamelle, le retour vers la voiture le voit aller plus vite. Il a vraiment envie de se recoucher.

La petite famille arrive chez elle, un pavillon de banlieue près des champs du Vexin, ou le garçonnet, une douzaine d'années plus tard, invitera ses amis pour passer deux fois le réveillon. Les enfants descendent, emmènent les valises, et là le père dit : "j'emmène Pato au vétérinaire". Oui, le père ne parle pas Français comme un académicien, il parle Français comme un ouvrier qui travaille dans la même usine depuis l'âge de 17 ans. Autant dire qu'il ne cause jamais pour ne rien dire. Sauf pour blaguer, en soirées. Un humour un peu lourd, souvent scabreux, mais souvent efficace, dont l'enfant a d'ailleurs hérité, même si à l'époque il ne le sait pas encore, il ne va pas à des soirées. Il lui faudra attende encore cinq ans pour le découvrir. La seule différence, c'est qu'il n'a jamais eu besoin de trois verres de Ricard pour ça.

L'enfant monte dans sa chambre. A l'époque, pas de posters de footballeurs, il n'est pas encore dingue de foot, ce sport débile ou 22 crétins courrent après un ballon. Ca ne saurait tarder, deux ans plus tard il entamera ses premières stats, sur un coin de cahier, en maths probablement. Ses deux frères sont les stars du club local, dont les meilleurs éléments fréquenteront les centres de formation d'Auxerre, du PSG ou du Havre, sans résultat. Lui n'a jamais voulu. Difficile de faire un sport colletif quand on a une peur primaire des autres. En plus, il le sait parce que son père est président du club de foot, dans les vestiaires on se ballade tout nu entouré d'autres gens tout nus aussi, ça ne colle pas vraiment avec sa pudeur maladive, qu'il cachera par la suite avec l'humour décrit un peu plus haut.

Dans sa chambre, des papiers, des bouquins, des dessins, un véritable capharnaüm. Un grand poster ou toute l'histoire du monde est résumée en un tableau, devant lequel il passera des heures. Il n'a pas encore la télé mais il écoute la radio, et comme son poste fait enregistreur, il fait des cassettes avec des chansons, entre lesquelles il parle, de tout, de rien. Il fait des blagues, il parle de ce qu'il voit aux infos... mais là, il n'a pas envie de parler. Il s'asseoit par terre, contre son lit, comme il en a l'habitude. On est en août, mais lorsqu'il regarde par la fenêtre, l'oeil vide, le ciel est gris. Un peu facile comme rapprochement, n'empêche, ça colle vachement avec son état d'esprit du moment. Le garçon pense à son chien, sans savoir pourquoi. Il a un pressentiment, mais il ne sait pas lequel. Il a perdu son arrière-grand-père l'année d'avant, qui avait lui même perdu sa femme trois ans plus tôt, mais ça n'avait pas marqué l'enfant, qui n'était pas allé aux enterrements. Ses parents ont toujours tenu leurs enfants éloignés de tous les évènements malheureux.

Il guette le retour de son père, mais ne sait pas vraiment pourquoi. Pour tout dire, il fait tout pour ne pas trop y penser, comme il fera souvent par la suite avec les problèmes de la vie.

Quand son père revient, le garçon descends les escaliers mais évidemment, Pato n'est pas revenu. Le garçon éclate en sanglot et remonte en courant, suivi par ses deux frères. La phrase que le père leur jettera alors marquera à vie l'enfant, même si elles n'a rien d'exceptionnel, c'est le contexte qui la rendra marquante : "laissez-le tranquille, il a besoin d'être seul". Si le garçon s'en souviendra aussi longtemps, c'est peut-être aussi parce que ce genre d'attentions n'est pas fréquente chez son père, notamment avec ses enfants. Non pas qu'il les aime pas, il est comme ça, c'est tout. Il les laisse vivre émotionnellement, un traîtement qui conviendra finalement très bien au gamin. La mère, de son côté, est encore plus pudique que son ainé, qui ne la verra pleurer qu'à chaque fois qu'un de ses chats adorés décèdera.

Le gamin s'est enfermé dans sa grotte, et pleure. Puis, après un moment d'une durée indéterminée, il sort la tête de ses bras trempés de ses larmes, saisit une feuille de canson, un crayon papier, et dessine un case, en haut à gauche, en utilisant une boîte de CD comme règle. Des BD, il en fait depuis la maternelle, il a toujours fait ça. Par la suite, il arrêtera progressivement, puis définitivement après la fac, sans que cela lui manque vraiment. Il compensera par l'écriture... et par les amis aussi, ceux qu'il finira par avoir, avec l'âge. Plus besoin de monde imaginaire quand on a le réel enfin à disposition.

Cette fois ci, il dessine son chien, Pato, en super héros. Fort logiquement, le nouveau défenseur de la Veuve et de l'Orphelin s'appelle Super Pato, porte un masque, une cape, un gros P sur un torse musclé et des collants. Mais, malgré plusieurs aventures échevelées, son créateur ne lui fera jamais sauver le monde. Juste ceux qui l'entourent, ses maîtres par exemple. C'est un super héros familial, au sens propre du terme. Un ange gardien, en fait.

Si ça fait belle lurette que Super Pato n'a plus revêtu son costume de vengeur masqué, son créateur se souvient toujours de lui, et de sa naissance. Il en rêve même, des fois. Enfin, quand il se souvient de ses rêves, ce qui reste rare.

C'était juste un épiphénomène que tous les gamins du monde ont vécu, mais pris un par un, ces tranches de vie sont plus que des tournants, ce sont de véritables naissances.