jeudi 9 octobre 2008

Super Pato begins


La petite famille rentre de Bretagne.

Ils ne sont pas encore six, le dernier des quatre garçons naîtra un an plus tard, neuf ans après son plus jeune grand frère. Les trois gamins ne sont pas particulièrement turbulents. Enfin, pas tous. L'aîné, qui n'a qu'à que treize ans mais que les jambes déjà longues "obligent" - il aime ça, donc le sacrifice est relatif - à s'asseoir devant dans la voiture, à côté de son père, qui écluse les gitanes sans filtre comme son fils les tablettes de chocolat, déjà, est sage, il ne dit rien. Il n'est pas encore obèse, mais il se porte déjà bien.

La famille a amené le chien, Pato, un vieux cocker noir qui a la particularité d'avoir juste une petite boule de poils en guise de queue. Pato a un an de plus que l'aîné de la famille, et ça n'a évidemment pas la même importance pour un chien : pour un ado, c'est le début, le commencement, même s'il croit qu'il sait déjà tant.

Ce gamin, que tous ses professeurs ont annoncé comme brillant à des parents évidemment ravis, est inquiet : Pato, avec qui il a été élevé, à qui il a tiré sur les oreilles, les babines, les pattes, les poils, sans que le toutou ne rechigne jamais, Pato qui a été jusque là l'ami le plus fidèle qu'il ai jamais eu - en fait, le seul ami que ce garçon taciturne et solitaire ai jamais eu dans sa courte vie -, bref, Pato, le vieux cocker, n'a pas l'air bien.

Ce n'était encore qu'un chiot quand le blondinet est né. Ce dernier l'a torturé, lui a surement réservé ses premières paroles, ses premières histoires, ses premiers secrets. Mieux qu'un ours en pluche, mieux qu'un GI Joe, un chien, qui remue sa petite queue quand on s'apprête à le sortir, et qui ne protestera jamais du traîtement dictatorial que l'enfant lui soumettra à longueur de journées.

La famille s'arrête sur la route, il faut faire pisser et manger le chien. Les hommes ont également envie de signer leur passage, tandis que la mère reste stoïquement dans la voiture familiale, insensible au protocole tout à fait masculin du pipi debout dans les fourrés. Mais Pato, qui, comme tous les chiens, a toujours été un morfale, ne veut pas sortir de la voiture, d'ailleurs il n'a pas vraiment envie de bouger. Il regarde ses maîtres d'un air de dire "non mais sérieusement, vous avez pas autre chose à faire que venir m'emmerder ?" Un regard de vieux à qui on propose d'aller se ballader alors que tout ce qu'il veut, c'est regarder Drucker peinard. Ces jeunes et leurs lubies...

Le père, dont le mot "diplomatie" ne figure pas dans le vocabulaire, tire sur la laisse, et traîne le chien jusqu'à sa gamelle. Celui-ci dirige sa truffe vers la bouillasse qui lui sert de nourriture depuis deux septennats (il est né quelques jours après l'élection de Giscard) et regarde ailleurs, comme si on lui avait proposé de regarder un tableau de grand maître. Le garçon, qui ne comprends pas ce qui se passe, s'approche de son frère de couches et le pousse, prends le museau du chien et le plante dans la gamelle, en lui parlant doucement. Rien ne se passe, les babines restent closes, Pato n'a pas envie de manger. Tout simplement impossible, une première totalement inédite. Etrangement, s'il s'est traîné vers la gamelle, le retour vers la voiture le voit aller plus vite. Il a vraiment envie de se recoucher.

La petite famille arrive chez elle, un pavillon de banlieue près des champs du Vexin, ou le garçonnet, une douzaine d'années plus tard, invitera ses amis pour passer deux fois le réveillon. Les enfants descendent, emmènent les valises, et là le père dit : "j'emmène Pato au vétérinaire". Oui, le père ne parle pas Français comme un académicien, il parle Français comme un ouvrier qui travaille dans la même usine depuis l'âge de 17 ans. Autant dire qu'il ne cause jamais pour ne rien dire. Sauf pour blaguer, en soirées. Un humour un peu lourd, souvent scabreux, mais souvent efficace, dont l'enfant a d'ailleurs hérité, même si à l'époque il ne le sait pas encore, il ne va pas à des soirées. Il lui faudra attende encore cinq ans pour le découvrir. La seule différence, c'est qu'il n'a jamais eu besoin de trois verres de Ricard pour ça.

L'enfant monte dans sa chambre. A l'époque, pas de posters de footballeurs, il n'est pas encore dingue de foot, ce sport débile ou 22 crétins courrent après un ballon. Ca ne saurait tarder, deux ans plus tard il entamera ses premières stats, sur un coin de cahier, en maths probablement. Ses deux frères sont les stars du club local, dont les meilleurs éléments fréquenteront les centres de formation d'Auxerre, du PSG ou du Havre, sans résultat. Lui n'a jamais voulu. Difficile de faire un sport colletif quand on a une peur primaire des autres. En plus, il le sait parce que son père est président du club de foot, dans les vestiaires on se ballade tout nu entouré d'autres gens tout nus aussi, ça ne colle pas vraiment avec sa pudeur maladive, qu'il cachera par la suite avec l'humour décrit un peu plus haut.

Dans sa chambre, des papiers, des bouquins, des dessins, un véritable capharnaüm. Un grand poster ou toute l'histoire du monde est résumée en un tableau, devant lequel il passera des heures. Il n'a pas encore la télé mais il écoute la radio, et comme son poste fait enregistreur, il fait des cassettes avec des chansons, entre lesquelles il parle, de tout, de rien. Il fait des blagues, il parle de ce qu'il voit aux infos... mais là, il n'a pas envie de parler. Il s'asseoit par terre, contre son lit, comme il en a l'habitude. On est en août, mais lorsqu'il regarde par la fenêtre, l'oeil vide, le ciel est gris. Un peu facile comme rapprochement, n'empêche, ça colle vachement avec son état d'esprit du moment. Le garçon pense à son chien, sans savoir pourquoi. Il a un pressentiment, mais il ne sait pas lequel. Il a perdu son arrière-grand-père l'année d'avant, qui avait lui même perdu sa femme trois ans plus tôt, mais ça n'avait pas marqué l'enfant, qui n'était pas allé aux enterrements. Ses parents ont toujours tenu leurs enfants éloignés de tous les évènements malheureux.

Il guette le retour de son père, mais ne sait pas vraiment pourquoi. Pour tout dire, il fait tout pour ne pas trop y penser, comme il fera souvent par la suite avec les problèmes de la vie.

Quand son père revient, le garçon descends les escaliers mais évidemment, Pato n'est pas revenu. Le garçon éclate en sanglot et remonte en courant, suivi par ses deux frères. La phrase que le père leur jettera alors marquera à vie l'enfant, même si elles n'a rien d'exceptionnel, c'est le contexte qui la rendra marquante : "laissez-le tranquille, il a besoin d'être seul". Si le garçon s'en souviendra aussi longtemps, c'est peut-être aussi parce que ce genre d'attentions n'est pas fréquente chez son père, notamment avec ses enfants. Non pas qu'il les aime pas, il est comme ça, c'est tout. Il les laisse vivre émotionnellement, un traîtement qui conviendra finalement très bien au gamin. La mère, de son côté, est encore plus pudique que son ainé, qui ne la verra pleurer qu'à chaque fois qu'un de ses chats adorés décèdera.

Le gamin s'est enfermé dans sa grotte, et pleure. Puis, après un moment d'une durée indéterminée, il sort la tête de ses bras trempés de ses larmes, saisit une feuille de canson, un crayon papier, et dessine un case, en haut à gauche, en utilisant une boîte de CD comme règle. Des BD, il en fait depuis la maternelle, il a toujours fait ça. Par la suite, il arrêtera progressivement, puis définitivement après la fac, sans que cela lui manque vraiment. Il compensera par l'écriture... et par les amis aussi, ceux qu'il finira par avoir, avec l'âge. Plus besoin de monde imaginaire quand on a le réel enfin à disposition.

Cette fois ci, il dessine son chien, Pato, en super héros. Fort logiquement, le nouveau défenseur de la Veuve et de l'Orphelin s'appelle Super Pato, porte un masque, une cape, un gros P sur un torse musclé et des collants. Mais, malgré plusieurs aventures échevelées, son créateur ne lui fera jamais sauver le monde. Juste ceux qui l'entourent, ses maîtres par exemple. C'est un super héros familial, au sens propre du terme. Un ange gardien, en fait.

Si ça fait belle lurette que Super Pato n'a plus revêtu son costume de vengeur masqué, son créateur se souvient toujours de lui, et de sa naissance. Il en rêve même, des fois. Enfin, quand il se souvient de ses rêves, ce qui reste rare.

C'était juste un épiphénomène que tous les gamins du monde ont vécu, mais pris un par un, ces tranches de vie sont plus que des tournants, ce sont de véritables naissances.

2 commentaires:

Manue a dit…

Très joli post :x

Mona a dit…

Quand Sophie est morte ça a été aussi dur.