Bienvenue, Eva !

Salut à tous,

Autant vous le dire tout de suite, je suis atterré. C'est-à-dire que je suis carrément... accablé, consterné, et pour vous dire assez inquiet.

Voyez-vous, des fois vous vous attendez au pire, et puis tout d'un coup la nature humaine se montre fidèle à ce que ce qualificatif pompeux, ce faux-ami, "humain", nous fait attendre de sa part : elle nous surprend positivement en se montrant généreuse, juste ou attachante. Je ne suis pas d'humeur pour vous sortir maintenant là tout de suite des exemples, mais ils foisonnent. Et puis, des fois c'est l'inverse.

Il suffit juste d'une phrase banale, une saillie, un souhait, évoqué au détour d'une interview, quelque chose qui vient manifestement d'une bonne intention, un souhait de vouloir arranger les choses, les rendre plus belles, moins ternes. En gros, un progrès. Et puis, là, les réactions à cette idée sont l'occasion à la même nature humaine de se montrer comme elle l'est le plus souvent : xénophobe, cynique, mauvaise. Et raciste, bien sûr, disons les mots tels qu'ils sont. Parce que le racisme, ça ne concerne pas seulement ceux qui ne nous ressemblent pas, comme les maghrébins ou les blacks, on en a eu une éclatante preuve aujourd'hui.

La phrase, signée Eva Joly, ancienne juge née en Norvège, qui vit en France depuis près de 50 ans, qui est Française depuis 44 ans, et qui va se présenter à la Présidentielle en tant qu'Ecologiste, est la suivante : "J'ai rêvé que nous puissions remplacer ce défilé [militaire] par un défilé citoyen où nous verrions les enfants des écoles, où nous verrions les étudiants, où nous verrions aussi les seniors défiler dans le bonheur d'être ensemble, de fêter les valeurs qui nous réunissent". Une phrase manifestement si ignoble qu'elle a déclenché un déversement absolument ahurissant d'horreurs xénophobes du niveau d'un caniveau mal entretenu, et parfaitement assumé par leurs auteurs. C'est-à-dire que le climat de la France sarkozyste, celle ou le racisme, ordinaire ou pas, n'est plus un délit, comme il l'a été durant quelques années, facilite grandement ce genre de phénomènes. Aujourd'hui, ce n'est plus un délit, c'est une opinion, et ceux qui ont été "opprimés" par cette loi se sentent tellement libérés qu'ils s'en donnent à cœur joie. Et ceux qui n'assument pas d'être racistes mais seulement de droite se sont réunis sous le titre parfaitement odieux de "droite populaire". "Oui, on est cons, racistes et xénophobes mais on a le droit, parce qu'on pense comme les gens".

Voici un florilège malheureusement pas exhaustif des réactions de droite. A gauche on ne l'a étonnamment pas soutenue - le temps de la gauche pacifiste a manifestement vécu -, et y a eu des perles aussi, mais au moins, on ne lui a pas reproché de ne pas être Française, ce qui est faux en plus.

Jacques Myard (c'est mon maire, j'ai eu le tort un jour de lui envoyer un mail pour pouvoir aller à l'Assemblée Nationale, il ne m'a pas répondu mais depuis il m'abreuve de ses mails de propagande de la droite populaire) : "Eva, souviens toi de Narvik ! La proposition d’Eva JOLY (...) relève d’un pacifisme primaire imbécile et criminel. (...) La proposition d’Eva JOLY n’est rien d’autre que l’expression d’une soixante-huitarde attardée. (...) C’est l’expression même de l’incompétence. Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare-toi à la guerre) restera à jamais l’assurance de notre liberté trop chèrement payée !"

François Fillon (Premier Ministre, je sais vous le savez, mais c'est pour souligner l'énormité de sa bêtise) : "Je pense que cette dame n'a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l'histoire française".

Lionnel Luca (un cas celui-là, au point d'avoir une faute à son prénom) : "Elle doit confondre le le 14-Juillet et le 1^er avril. Ce serait bien qu'elle apprenne l'histoire de France, je pense que cela lui serait utile. […] Je ne sais pas ce qu'elle aurait fait en 1944 ou 45".

Le député Guy Teissier, président de la commission de la défense à l'Assemblée, l'a qualifié d'Anti-France".

Lionel Tardy : "Heureusement que nos chasseurs alpins étaient là en 1940 à Narvik pour prêter secours à la Norvège. Il est temps pour elle de retourner en Norvège ! (...) Eva Joly n'est pas sociologiquement en phase avec les Français".

Marine Le Pen (qui, elle, ne nous déçoit pas) : "M^me Joly ne comprend strictement rien au lien extrêmement profond qui existe entre le peuple français et son armée. (...) L'armée est le synonyme de notre liberté".

Que retenir de cet aréopage particulièrement brillant de la pensée française de ce début de 21e siècle ? Que d'abord il y a encore des gens qui se croient menacés d'une guerre, d'une invasion, et que des ennemis n'attendent qu'une chose, cachés derrière les Alpes, la Forêt Noire ou les Pyrénées, c'est que la France abandonne son armée pour se jeter sur elle pour nous dévorer. Il est donc logique que ces mêmes gens ne soient pas choqués par ce tout aussi brillant passage de la Marseillaise, que les sportifs sont priés de chanter à gorge déployée : "qu'un sang impur abreuve nos sillons".

Ensuite, que finalement, moi qui pensais que le racisme ne concernait que ceux qui n'étaient pas blancs et bien portants, je me suis manifestement trompé. Ou alors juste dans le cadre d'élections majeures. Et puis voilà, on peut constater un très sérieux recul des valeurs d'humanisme, de paix, de fraternité. Des "gadgets" aujourd'hui traités comme des trucs culculs, utopistes. Aujourd'hui, vivre le réel, c'est aduler son armée, sa nation, son pays, et tout faire pour qu'on soit le moins possible dérangé par ce qui ne nous ressemble pas, et qui parle avec un accent bizarre. Vraiment, il fait très bon vivre dans notre pays.

La France qui s'enorgueillit d'un particularisme en Europe, et même au-delà : c'est la dernière nation démocratique qui fait encore des défilés militaires, comme au temps de la Guerre Froide ou là, oui, y avait de quoi flipper qu'une invasion survienne à tout moment. On concurrence donc des pays majeurs comme la Russie, la Chine, la Corée du Nord... vous êtes fiers, pas vrais ?

Pour finir, lisez la traduction du "Ja, vi elsker dette landet", l'hymne norvégien. Patriote, évidemment, et guerrier, forcément pour cette terre de Vikings. C'est pas pour ça que là-bas ils glorifient l'armée comme si ils devaient encore aller conquérir des terres à coup de marteaux en naviguant sur des Drakkars...

Je vous laisse.