jeudi 22 décembre 2011

Tonio

Cher Antoine,

J'ai appris cet après-midi avec consternation ton éviction du poste d'entraîneur du PSG, mon club de toujours. Le tiens, aussi.

C'est peu dire que je suis triste d'apprendre cette nouvelle. Elle est aussi étonnante qu'attendue, et je ressens donc, au moment de t'écrire ces quelques lignes que tu ne lieras évidemment jamais, un mélange de fatalisme mais aussi d'incompréhension.

Ça faisait des semaines qu'on en parlait. Au fond, le débat avait commencé au moment où Leonardo était annoncé comme futur directeur sportif du club, dès le mois de juin, et le rachat du club par la famille royale du Qatar, pays riquiqui qui actuellement s'achète de tout : des compétitions, des clubs, des droits télé... à ce moment là, on a commencé à se dire que ton boulot, qui n'était déjà pas simple en tant qu'entraîneur du PSG - un poste un peu casse gueule, genre t'es en mocassin sur une planche savonneuse - allait se compliquer singulièrement.

Directeur sportif, déjà, c'est la bonne planque. En général t'es nommé sur ton nom - demandez à
Marc Keller ou Alain Roche ce qu'ils en pensent - , tu influes vachement sur le sportif, puisque c'est écrit dans ton titre, tu fais venir des joueurs et tout, mais quand ça va mal ils te virent pas toi, mais le mec qui entraîne les joueurs que tu as fait venir. Un peu comme si le président de la République décidait de tout, mais que c'était le Premier Ministre qui prenait.


Mais là, en plus, le directeur sportif c'est non seulement une super star, mais aussi un ancien joueur du club, qui avait été adoré durant son court passage en 96/97, et choisi par le nouvel actionnaire. C'est peu dire que ton travail se résumait désormais à bien traiter la Ferrari qu'était devenu l'effectif parisien, en essayant de la positionner en tête tout en ne l'abimant pas. Par contre, ton avis sur les réglages et la construction de la bagnole, tu pouvais te les mettre au cul.

Malgré un couac d'entrée contre Lorient (0-1), l'équipe a ensuite déroulé, et s'est vite retrouvés en tête. Toi tu fanfaronnais pas, bien conscient que de toutes façons, si ça allait bien c'était grâce aux stars achetées pour 80 millions d'euros, par contre si ça allait mal, ben ça n'allait être que de ta faute. Pas parce que l'actionnaire et Leonardo avaient oublié de renforcer l'équipe quantitativement et pas seulement qualitativement, notamment à certains postes qui ne sont pas doublés, comme les latéraux et surtout les milieux offensifs excentrés. Nene n'a pas de remplaçant à gauche, et Ménez en a un, lui, mais c'est Jallet, qui est plutôt latéral droit. Après ce sont des jeunes de 18 ans (Kebano, Bahebeck) qui font le nombre, forcément y a une marge. Non, c'est de ta faute, c'est tout.



Du coup, toi, on te demande de gérer, donc tu gères, et donc tu fais un peu tourner parce qu'il y a quand même plein de matches, entre le championnat, l'Europa League, la Coupe de la Ligue... Sauf que ton turn over va faire perdre un ou deux points cruciaux au club en coupe d'Europe, ainsi que la Coupe de la Ligue, perdue à Dijon (3-2), après avoir mené 2-0 après 20 minutes de jeu. Est-ce qu'un autre entraîneur aurait pu faire mieux avec cet effectif clinquant mais bancal, où les milieux défensifs et les avant-centres se marchent sur les pieds ? Pas sûr. Après tout, le PSG est éliminé de la coupe d'Europe avec 10 points, 3 succès, 1 nul et 2 défaites, et pour UN seul but, encaissé à la 94e à Salzburg (2-0). Sans ce but, on passait. A un pet de lapin, tu sauvais peut-être ta place.

Parce c'est sans doute ce qu'ils vont dire. Ils ont mis le temps de communiquer, mais manifestement ça a du mal à sortir. Je cite le "communiqué" du club : "Le PSG et son entraîneur Antoine Kombouaré tiennent à préciser qu'ils ont engagé des discussions sereines qui devraient aboutir prochainement et qui permettront à chacun de préserver ses intérêts". Mouarf, ils arrivent même pas à le dire. Ils se rendent compte qu'ils sont dans un pays où les droits du travail sont (encore un peu) respectés, et où tu ne peut pas faire n'importe quoi, du coup ils se protègent. Mais c'est ce qu'ils vont dire, qu'un titre de champion d'automne, qui serait un titre de champion tout court en Amérique du sud d'ailleurs, ça ne suffit pas, qu'il aurait fallu aller plus loin en Europa League, que ça jouait pas assez bien, que Pastore n'avance plus, etc. Que des détails, des trucs satellites, qui ne parviendront pas à masquer le vrai truc : c'est un délit de sale tronche.

Oui t'as pas de palmarès. En même temps, en 5 ou 6 ans de carrière d'entraîneur, dont 3 ou 4 à Valenciennes, gagner deux Ligues des Champions et autres championnats, comme Carlo Ancelotti, ton probable successeur, c'est pas évident. Mais c'est surtout le fait que t'as pas le charisme nécessaire. T'es pas trilingue comme Léo, t'as pas un tailleur qui ta peaufine des costards à trois plaques, tu t'exprimes avec ton cœur et non avec ta langue (de bois), tu parles de valeurs de moins en moins visibles dans ce sport, à savoir le don de soi, le courage, la fidélité, la dignité, le collectif. Jamais t'as tapé sur un joueur, tu les a toujours protégé, t'as toujours parlé de groupe. On dit souvent de toi que t'es un chef de clan, comme tes origines Kanaks le laissaient à penser. Quelqu'un sur qui l'on peut compter, avec qui on peut aller à la guerre, qui ne te fera jamais un enfant dans le dos. Bref, t'es un gars frais, pur, sans le moindre début de fauchetonnerie. Un peu sanguin, c'est tout, mais même là tu t'étais amélioré. Après tout, pour parler à un gamin de 22 ans qui gagne cinq fois plus que toi, et lui dire de ranger les plots après l'entraînement, vaut mieux avoir du caractère.

C'est dommage parce que, même si l'équipe a rarement fait des étincelles sous ton mandat long de deux ans et demi, elle avait gagné, notamment l'année dernière, terminée à la quatrième place alors qu'elle méritait vraiment beaucoup mieux, en cohésion, en solidarité, en mental, un peu à ton image, quoi. Elle était devenue chiante à jouer, un peu comme sous Vahid. Cette année, avec les arrivées et la recomposition complète du secteur offensif, c'était moins évident. Mais, à l'image de certains matches comme celui d'hier, à Saint-Étienne, par exemple, elle gagnait parfois avec les tripes, en plus du talent individuels de joueurs comme Jérémy Ménez, ou Pastore. C'est ce que le Parc a toujours aimé, ces matches âpres, moches, sales, desquels le PSG sort parfois vainqueur. Le public parisien aime la lumière, les stars, les artistes, mais elle a aussi aimé des mecs comme Llacer, comme Armand, qui fait aujourd'hui partie des 5 joueurs les plus capés de l'histoire du club, qui sont limités mais qui laisseraient leur rein par terre plutôt qu'abandonner. Le public les moque, mais il les respecte. Des mecs à qui on ne reprochera jamais d'être "trop payés", selon la formule consacrée, même si c'est aussi le cas. Mais ça se voit moins.

Toi, t'étais un de ces joueurs là. A l'époque de Valdo, Weah, Raï, Ginola, t'étais pas vraiment titulaire, tu rendais service quand y avait un blessé derrière. Un défenseur central haut en taille, rugueux, mais qui ne savait pas vraiment quoi faire du ballon. Un des rares ressortissants de la Nouvelle-Calédonie à avoir réussi dans le football professionnel, comme Karembeu. Mais t'étais surtout "Casque d'or", surgit du banc et du brouillard, fin 1992, pour placer une tête décroisée improbable, sur un corner à Anderlecht, pour sauver le PSG (1-1) et le qualifier. Quelques mois plus tard, t'étais encore là, contre le Real Madrid en quart de finale (4-1), au bout de la courbe dessinée par le coup-franc de Valdo, côté droit, alors que tout le monde était monté, Le Guen, Ricardo, tout le monde, alors qu'on jouait la 53e minute des arrêts de jeu parce que la montre de l'arbitre hongrois, Sandor Puhl, avait du prendre un coup de froid, t'étais là, au bout de cette trajectoire de dingue, pour reprendre le ballon de la tête, décroiser ta frappe, encore, et la mettre trop loin de Buyo, sur sa droite, et marquer un but que Platini, au commentaire, avait annoncé en direct. Et là t'as couru comme un dingue, bras tendus devant toi, et tout tes coéquipiers sont venus taper ton crâne, toucher ta tête devenue talisman, comme quand on touche le pompon d'un marin, un truc sacré, qui porte bonheur. Avant, j'aimais le PSG, après, j'étais amoureux. Kombouaré, le chef de clan, un Kanak, un Nantais aussi, pas vraiment titulaire, pas vraiment remplaçant, un peu comme Vincent Guérin avant, comme Zoumana Camara aujourd'hui, un mec qui n'est jamais annoncé dans les équipes type de début de saison, mais qui fait le job, qui marque des buts du genou contre Lyon, l'an passé (1-0), et qui reste dans les cœurs parisiens.

Il y a 5/6 ans, Laurent Fournier, un autre mythe du club, un autre porteur d'eau célèbre, qui était là à Anderlecht, avait été viré alors que le club pointait à un point ou deux de la première place. Le PSG avait mis des années à se remettre de cette ânerie. Pour une fois que, à l'image de ce qu'il se passe dans les grands clubs français (Lacombe et Garde à Lyon, Anigo et Deschamps à Marseille...) et Européen (Rummenigge au Bayern, Guardiola au Barça, Conte à la Juve...), le club faisait confiance à un de ses anciens pour le guider, et que ça marchait, il fout tout par terre. C'est la vie de supporter de PSG qui veut ça, un enchaînement perpétuel de grands bonheurs et de grosses déprimes. Mais en même temps, si on voulait pas de ça, de ces montagnes russes, on serait supporter d'un autre club, ou d'un autre sport, plus calme, plus lisse, plus conventionnel. Qu'est-ce qu'on se ferait chier ! C'est comme l'amour, si ça bouge pas un peu, on s'emmerde.

Sur ce mon Tonio, je te laisse. Profite bien de tes vacances, va, tu les a carrément méritées. Et attends toi à voir ton nom scandé au Parc les soirs où ça ne rigoleras pas, un peu comme celui de Luis Fernandez. Tu vas vite trouver chaussure à ton pied, un bon petit club, plus familial, qui te permettra d'appliquer tes méthodes rudes, certes, mais saines et fraiches, et de gagner les trophées qui t'auraient sauvé si tu les avait gagné avant de venir ici !

Tata* !
* Au revoir, à bientôt. Origine australienne. Expression universellement employée et surprenante pour les Métropolitains non initiés (dico kanak).

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