mardi 15 mai 2012

Changement de propriétaire

Salut à tous,

Voilà, ça fait un peu plus de huit jours maintenant. Une grosse semaine que la France, dans un sursaut de civisme, dans un éclair de lucidité salvateur, a donné son congé au pire président de la Ve République, et de loin. Rendre ma génération nostalgique de Chirac, sachant que j'étais un peu jeune pour juger le septennat de Giscard, même si je l'ai vécu presque complètement, ce n'est pas le moindre des exploits réalisés par Sarkozy.

Quoique, ça dépend de quoi on parle. Si on parle de politique pure, des débats qui ont secoué le pays durant les deux règnes - car il faut bien les appeler de cette manière, dans cette Royauté élective cachée qu'est la France - , on peut dire que Chirac l'emporte, par défaut mais quand même. Lui n'a rien fait, notamment après 2002, cultivant son statut de vieux monarque intouchable qui est la meilleure défense des chefs d'état trop longtemps au pouvoir et en fin de route. Ce fut aussi le cas du deuxième septennat de Mitterrand, d'ailleurs. Il n'empêche que Chirac est aussi responsable de la montée de Sarkozy, puisque c'est lui qui l'a lancé en 2002, afin que ce dernier illustre la volonté d'un président réélu sur un malentendu d'écouter les électeurs du FN et de Jean-Marie Le Pen, participant surprise au second tour de la présidentielle. Je me souviens notamment d'une phrase lors du discours laborieux et un peu glauque que Chirac avait fait à la Concorde, lors de sa victoire : "je vous ai
entendu". De Gaulle ? Juste la forme, alors. Sarkozy à l'Intérieur, c'était le meilleur moyen de faire de ce dernier le nouvel homme fort à droite. En deux ans seulement, il allait se rendre incontournable. Merci Jacques, t'as vraiment rien fait de bon, à part la suppression du service militaire...

Bref, Sarkozy a été un accident, finalement. Un malheureux accident, comme ces derniers le sont souvent d'ailleurs, mais un accident quand même. Une parenthèse de démagogie, de populisme, de haine à peine contenue envers tout ce qui ne lui ressemble pas et/ou ne veut pas le suivre, de conduite du pays à l'aveuglette, ou plutôt à la lecture des fait-divers. Cinq ans ça paraît court, mais j'ai l'impression qu'on a eu le temps quand même d'oublier à quoi ça ressemble une politique apaisée, même dans ces temps chaotiques et incertains, à quoi ressemble un président un peu au-dessus de la mêlée, qui laisse agir ceux qu'il va choisir demain pour gouverner, etc. Je ne dis pas que c'est ce que Hollande fera, mais en tous cas il a tout fait pour montrer qu'il reviendrait à un peu plus de sérénité, de calme, moins de gesticulation. Quitte à peut-être renouer avec ces président-monarques qui ont excédé les Français, au point d'envoyer à l'Elysée ce... ce... je suis à court de termes pour qualifier celui qui ne sera bientôt plus que le mari désœuvré de Carla Bruni.

En 2007, les Français n'en pouvaient plus de Chirac, de ses pantalons sous les aisselles, son audition défaillante, l'inertie quasi complète du pouvoir, ce côté Prince Charles qui se baladerait à poil sur une terrasse pendant ses vacances, et qui aurait manifestement tapé avec joie dans toutes les caisses qu'il trouvait. Aujourd'hui c'est un gentil papy que les gens aiment regretter, surtout maintenant qu'il est sénile et qu'il drague les minettes devant les caméras du Petit Journal. La mémoire collective a inventé Alzheimer, à mon avis. En tous cas elle l'incarne très souvent, quel que soit le sujet.

Sarkozy a donc été jeté. Pourquoi ? Tout a été dit. A droite, on est tellement persuadé que 98 % des
journalistes français sont de gauche qu'il n'y a même pas besoin de trouver d'autres raisons. Et même si ça consiste d'abord à oublier que Sarkozy avait ces mêmes médias dans la poche en 2007, et qu'il faut oublier, dans ce décompte simpliste, l'intégralité de la rédaction du Figaro, une partie de celle du Nouvel Obs, du Point, etc. Christophe Barbier il est de gauche, sérieusement ? Et Giesbert ? Et Apathie, qui n'a que les mots dette et rigueur à la bouche ? Et Zemmour ? Et Brunet ? Et Polony ? Et Thréard ? Et Rioufol ? Et Ney ? Ils sont peut-être pas nombreux, mais on les voit quand même beaucoup pour une minorité à ce point ignorée...

Pour le reste, il y a plusieurs explications. D'abord, Sarkozy n'a jamais fait président. Et là, je ne parle pas seulement du physique. C'est vrai, avec ses tics, ses talonnettes, son attitude constamment agressive et belliqueuse, il n'a jamais engendré la quiétude et la sérénité. C'était le stresse incarné. Mais s'il n'a pas été président, c'est surtout dans sa gouvernance, qui a été totale. Non seulement il n'a laissé que des miettes à ses "collaborateurs", en faisant régner la terreur dans ses rangs pour qu'aucune tête ne dépasse au-dessus de la sienne, ce qui n'était pas un mince exploit, mais en plus il n'a fait que diviser les gens, jeter les uns aux visages des autres. Pour fédérer cette France normale qui, selon lui, se tait mais n'en pense pas moins, il a attaqué tous ceux qui sortaient de la norme : les plus pauvres, les chômeurs, les Roms, les Arabes, les Musulmans, les émigrés, etc. Dans ce "courageux" et perpétuel courroux, il a oublié une seule minorité, parce que s'en est une seulement par le nombre : les plus riches, ses amis, ceux qu'il croit seuls capables de créer de la richesse et des emplois. Mais la richesse créée n'a atterrit que dans leurs poches, et ils ont surtout détruit des emplois dans le même temps. Éternelle illusion de la droite, que croire que ce sont les riches qui créent les richesses, et non les travailleurs, à la base.

Et puis, durant la campagne, il n'a pas franchit la ligne, il a sauté par dessus avec un trampoline. Il a provoqué sa propre loi Hadopi en copiant éhontément la programme du FN, tout en laissant de côté avec une assurance hallucinante tout le reste du pays : la gauche, le centre, dont le chef l'a logiquement lâché. A propos du choix de Bayrou on a parlé de surprise, mais comment aurait-il pu sérieusement choisir Sarkozy après tout ce que ce dernier avait dit durant les dernières semaines de la campagne ? En 2007, sa haine personnelle envers Sarkozy l'avait poussé à voter blanc, en annonçant avant cela qu'il ne voterait pas Sarkozy, ce qui ne voulait pas dire qu'il choisissait Royal. Cette fois, à cette même haine s'est rajouté le dégoût. Bayrou et moi avons peu de points en commun, mais je le considère comme un type intègre, honnête et surtout humaniste, et pour tout dire assez couillu politiquement. S'il devait rester fidèle à ce portrait à ce moment là, il ne pouvait que choisir Hollande. Il l'a dit lui-même : sur l'économie, il choisissait Sarkozy. Mais sur les valeurs, l'humain, sur les spots télés de Sakozy dans lequel on voyait une borne frontalière à la France avec une écriture en Arabe dessus, genre le danger sarrasin rôde au-delà de nos si fragiles frontières, un hommage durect au Bruno Mégret des années 90, il ne pouvait que choisir Hollande, ou au moins répudier Sarkozy. Le fait qu'il ait été le seul parmi les représentants de la Droite modérée - Juppé, Raffarin et Fillon, malgré quelques critiques, Bachelot, Baroin... même Borloo, que je croyais plus courageux - à le faire montre cependant que la politique politicienne a encore quelques belles décennies devant elle.

C'est une parenthèse qui s'est achevée, mais ne nous leurrons pas : la droite populiste reviendra. 37 % des gens partagent les idées du FN, soit le gros 15 % de ce dernier plus un  bonnpartie de l'électorat de l'UMP qui n'ose pas franchir le pas, et pas mal d'abstentionnistes. Si l'extrême gauche est fréquentable, contrairement à celle de droite, c'est plus elle qui semble le plus proche d'accéder au pouvoir un jour. Il suffit que ces différentes parties actuellement distinctes se rassemblent, et alors on pourra trembler les amis.

Allez, parlons d'Hollande maintenant. C'est quand même un truc énorme qui s'est passé. Hollande, qui n'était absolument plus rien politiquement il y a trois ans, après son départ de la tête du PS. Hollande, qui était encore plus moqué à gauche qu'à droite, cette dernière l'aillant toujours ignoré et sous-estimé jusque dans les dernières heures de la campagne, et encore aujourd'hui d'ailleurs.
Hollande qui, tout au long de ces années ou sa bonhomie rondouillarde a fait tout autant sa légende que son sens du consensus mou et son physique extrêmement quelconque. C'est un peu comme si aujourd'hui on me disait que Jérémy Toulalan allait devenir le meneur de jeu de l'Équipe de France après l'Euro, et gagner la Coupe du Monde.

Une histoire incroyable. Je me suis régalé de toutes les biographies qui sont sorties simultanément à son propos, dans la presse ou à la télé. Un parcours politique jumelé avec celui de sa compagne Ségolène Royal, qui sera cependant toujours la première, à part au tout début, en 81, lorsqu'ils rejoignent tous les deux l'équipe de Jacques Attali, conseiller principal de François Mitterrand. Mais ce sera elle qui rejoindra en premier un gouvernement, en 1992 (écologie) et elle qui, bien sûr, se lancera dans la présidentielle, en profitant du désarroi de Hollande, qui était premier secrétaire du PS lors de l'échec en 2002 et au référendum européen en 2005, et qui était donc éreinté. Ce coup là provoquera sans doute la fin de leur couple.

Mais Hollande a soigneusement caché la légende qui allait le porter à l'Élysée. Qui imagine, par rapport à son image de mou, de rigolard, qu'il a osé s'attaquer à Chirac en Corrèze en 1981, pour devenir député ? Et surtout que, malgré sa défaite, logique - Chirac est élu au premier tour, mais il a manqué 350 voix à Hollande pour accrocher le ballotage... - , il s'est accroché, se représentant, se battant, écumant les marchés, les réunions, avant d'être finalement élu en 1988 dans une autre circonscription, mais toujours en Corrèze. Entre les deux, il est resté là-bas, principalement, pour s'implanter électoralement. A la tête du PS, il n'a jamais eu la tâche facile face aux éléphants, qui lorgnaient sa place tout en étant ravis que ce soit lui qui prenne les coups lors des défaites électorales.

Quand on s'intéresse aux destins victorieux, on a toujours l'impression qu'il suffit de se battre, d'y croire et ça marche. Dans ces cas là, on oublie toujours ceux qui se sont battu, y ont cru, mais ont
perdu quand même. Dire que celui qui a gagné y a cru, et les autres non, c'est terriblement simpliste. Mais ce fut le cas de Hollande, qui a caché cette rage de réussir par des contours arrondis, et une gentillesse apparente qui cachait cette volonté de dingue qu'il a eu. Après, la chance (DSK, et succéder à Sarkozy) a aussi joué, bien sûr. La performance a finalement été de remporter la primaire, notamment face à Aubry qui ne lui a pas fait de cadeaux, et de battre Sarkozy lors du débat. Là, pas sûr que beaucoup de socialistes auraient fait aussi bien.

Maintenant, même à gauche on sait qu'il ne révolutionnera rien. Les gens ne l'ont pas élu pour ça, d'ailleurs, mais pour qu'il injecte un peu plus de justice, de douceur politique, de calme, d'honnêteté dans le débat politique. En gros, après 5 années de LSD, il leur fallait un bon petit pétard. Mais là encore, pas de faux espoirs : les gens seront vite lassés, et quand ils en auront marre ils iront voir ailleurs. Espérons quand même que ce sera après 2017...

Je vais pas rater la passation, demain. Juste pour voir la tronche de Sarkozy. Un dernier petit plaisir.

Je vous laisse !

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