jeudi 3 mai 2012

Hollande brise la digue

Salut à tous,

Je ne sais pas vous, mais moi je me suis régalé ce soir. Et pourtant, je n'ai pas complètement profité de ce débat, vu que je bossais et donc que, hormis quelques jets d'œils vers la télé, ceux ci étaient concentrés sur mon écran d'ordi. Je l'ai donc suivi essentiellement comme si je l'écoutais à la radio... avec quelques images, de temps en temps. Et ma tweeteuse préférée derrière, qui me relayait ce qui se passait sur cet étrange réseau social que j'ai eu beaucoup plus de mal à m'approprier que Facebook, tellement plus simple.

J'ai du voir tous les débats depuis 1995, date de ma première présidentielle. J'avais... hum, 20 ans, et j'avais enregistré ce débat, en me disant que je garderais ce moment d'histoire, comme j'aurais aimé en avoir d'autres en boîte, et que j'enregistrerais les autres ensuite. Pour moi, tous les moyens sont
bons pour prendre en photo l'histoire, quand celle-ci passe pas loin.

Bon, finalement j'ai perdu la cassette, ou alors elle a du être effacée... et puis avec le net, aujourd'hui, ce sont des images à la portée du premier imbécile (présent !) venu. Et puis, il faut être honnête, la joute entre Jospin et Chirac, disputée dans un décor bleu fluo épouvantable, avait abouti à une bouillie sans nom, technocratique, soporifique, et sans la moindre chair. Tout l'inverse, en gros, de ce qui s'est passé ce soir.

Quoique non, ce débat a quand même été riche en chiffres, un peu trop diront certains. C'est ça le problème, les gens ne demandent que ça, s'intéresser à la politique, mais ils voudraient que ça ressemble à une émission de Castaldi, où les seuls chiffres seraient les mensurations des bimbos baignant dans la piscine ou le numéro de téléphone à appeler pour éliminer les phares d'intelligence qui leurs servent de candidats. Mais non, la politique, c'est aussi des chiffres, parce que pour mesurer des tendances, des objectifs, des résultats surtout, ben les chiffres, c'est quand même très utile, à défaut d'être la panacée. Même si c'est très rébarbatif, faut savoir ce que l'on veut. On a beau mettre de jolies couleurs, une musique qui fait peur et Ken et Barbie à la présentation, le fond de la politique c'est quand même sérieux. Même si, parfois, ça ne vole pas toujours très haut.

Pour ma part, j'ai trouvé ce débat exceptionnel, tout simplement. Finalement, en... hum, 17 ans de droit de vote à cette élection, c'était mon quatrième débat, vu qu'il n'y en a pas eu en 2002, et encore heureux. Et jamais je n'avais senti une telle tension, un telle adrénaline, une telle envie de gagner chez les deux candidats. Pourtant, ça aurait pu être le cas dans les précédents débats, mais non, à côté ces derniers ressemblent, a posteriori, à d'aimables concours de rimes à Saint-Germain-des-Prés.

Ça a été musclé, ça a été rythmé, et les deux présentateurs, du fond de leurs pots de fleurs, n'ont que très rarement réussi à imposer le fil prévu pour ce débat. Jamais, je crois, deux candidats avaient eu autant envie de gagner la présidentielle, en fait. Normal : ça fait 24 ans que la Gauche n'en a pas gagné, soit trois défaites consécutives, et si elle ne gagnait pas celle-ci, après le pire mandat présidentiel de la Vème République, elle ne pouvait en gagner aucune. De son côté, la Droite est au pouvoir depuis si longtemps, et elle est si intensément incarnée par l'ultra égotique Sarkozy depuis 5 à 10 ans, qu'il lui paraît inconcevable d'abandonner des manettes qu'elle considèrera toujours, quoiqu'il arrive, comme les siennes. Le pouvoir doit revenir à la Droite, c'est bien connu. Et comme Sarkozy est le plus fort, impossible qu'il perde, logique. La loi de la jungle, je vous dit.

Il n'empêche, Hollande lui a mis une belle volée. Bien sûr, Sarkozy reste Sarkozy, il n'a rien lâché, quitte à s'enfoncer dans des mensonges qui auraient du lui faire honte, même à lui qui n'a jamais peur d'aller trop loin. Mais il ne s'est pas heurté à un édredon, qui lui aurait mollement renvoyé ses balles, il est tombé sur un mur. Mieux, ce fut même lui le mur par moment, sur lequel Hollande aurait joué tranquillement au tennis. Sarkozy contraint à tenter d'éviter les exocets du présumé Flamby, voilà une saveur que je n'aurais pas imaginé goûter un jour, et notamment en cet instant.

Il ne faut pas se le cacher, le peuple de Gauche avait peur de ce débat. Et c'est évidemment pour cela, et pas simplement par respect des traditions, ce qui n'est pas très de gauche, qu'elle ne voulait pas des trois débats proposé - je veux dire exigé, c'était Sarkozy quand même - par la majorité dès le soir du premier tour. Lui-même devait avoir des doutes sur ses capacités à résister à un tel bretteur, un débatteur de ce calibre. Sérieusement, qui, même au plus près d'Hollande, croyait que ce dernier
réussirait à bousculer à ce point Sarkozy, au point que lui et ses soutiens, après le débat, se sont plaints de son agressivité ? Relever cette dernière, c'était bel et bien démontrer qu'ils avaient été surpris par la performance d'Hollande, qu'ils ne s'attendaient pas à ce que le gros joufflu des précédentes joutes entre les deux hommes rosserait de la sorte leur champion imbattable. Car c'est pour cela aussi qu'ils voulaient les trois débats, pas pour vouloir parler de tout, dans un soucis de "vérité" qui n'aura jamais été celui de Sarkozy depuis 10 ans, mais bel et bien parce qu'il leur semblait que le président, cette bête de télé, ce surhomme, allait en profiter pour grignoter à chaque fois quelques voix à ce tout mou d'Hollande. Ce soir, je me dis que certains, à l'UMP, doivent être soulagés que ce dernier ait refusé. Et que d'autres, au PS, aurait peut-être finalement voulu qu'il en concède un ou deux de plus à son adversaire, histoire d'enfoncer le clou.

Ce qui a été fort, en dehors de la tirade "moi, président de la République", qui a envoyé Sarkozy dans les cordes durant trois minutes, et qui restera, pour la légende, comme le grand moment de ce débat, c'est que Hollande se soit finalement montré le plus convainquant là où on pensait qu'il souffrirait le plus : l'immigration. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas un thème sur lequel la Gauche est bonne. Et pourquoi cela ? Parce qu'à ses yeux - et elle a bien raison - ce n'est pas un thème important, ce n'est pas ça qui devrait diriger la politique de la France, c'est un faux problème, une chimère. Non seulement il n'y a pas trop d'immigrés en France, mais l'immigration rapporte de l'argent au pays, elle l'enrichit, et pas seulement financièrement. La Gauche est de tradition internationale, elle doit prôner l'échange, le mélange, l'universitalité, l'entente des peuples. Parler de l'immigration, pour elle, c'est comme parler de lutte contre la misère pour la Droite, c'est un effort inutile qui lui coûte et de l'énergie, et des voix. Problème, ça semble intéresser les gens. Bizarre d'ailleurs, parce que quand on leur demande ce qui les intéresse plus, ils répondent d'abord la lutte contre le chômage, la dette et compagnie, et l'immigration à 3 % seulement. Mais ils sont aussi d'accord avec les idées du FN à hauteur de 37 %, ce qui est dramatiquement élevé, et la moitié vote pour ce dernier, tandis que l'autre vote essentiellement Sarkozy. Que voulez vous que la Gauche fasse dans cette bouillasse infâme ? Que faut-il faire pour parler aux cons, tout en ne donnant pas l'impression qu'on veut les éduquer ? La Gauche ne peut pas faire ce qu'ils veulent, du coup elle est toujours emmerdée dans ces cas-là. Et dès que la Droite la lance sur l'insécurité et l'immigration, elle est foutue.

Mais là, Hollande a tenu bon. Mieux, il a  remporté cette manche qui était pourtant réservée à Sarkozy. Celui-ci s'est lancé dans ses discours habituels, encore plus orduriers depuis 10 jours, en faveur du retour des frontières, de la réduction des flux migratoires, de la rétention des familles d'immigrés dans des camps, contre le vote des immigrés aux élections locales par peur que ceux-ci instaurent dans les collectivité ainsi "influencées" des règles anti républicaines, comme les fameux horaires des piscines, qui passionnent tant la France... bref, une odeur infecte, brune, s'emparait du plateau. Infecte, mais prévisible.

Hollande l'a repris parfaitement. Il lui a demandé pourquoi les immigrés, selon Sarkozy, étaient forcément Musulmans. Premier direct parfaitement envoyé, surtout que ça a forcé Gnafron à concéder qu'il y pensait, vu qu'il a évoqué l'immigration maghrébine et noire-africaine. Bref, le masque est tombé, sous l'uppercut d'Hollande. Ensuite, il a dit au nabot qu'il y avait déjà des Musulmans, Français, qui votaient à toutes les élections, sans que ces derniers ne soient encore parvenus à transformer une municipalité ou un département en un califat reculé d'Europe de l'Ouest. Bref, il a adressé de véritables arguments de gauche à Sarkozy, après des décennies de balbutiements de candidats de gauche incapables de l'être vraiment, de gauche. Parce que la vérité, elle est là : il n'y a pas trop d'immigrés en France, il y a trop de racistes. Et ce sont plus ces derniers qui pourrissent la France que ces immigrés qui ne sont jamais que les héritiers de ceux qui, durant des siècles, ont bâti ce pays d'accueil, de tolérance et de mélange qu'il a toujours été, ce creuset des cultures qui a enrichit la France comme peu d'autres dans le monde. Les héritiers des Italiens et des Polonais, il y a un siècle, et même avant. Aujourd'hui, quel raciste crie qu'il y a trop d'Italiens ou de Polonais en France ? Personne, vu que le débat s'est déplacé sur le plan religieux, et ces derniers sont de bons Chrétiens qui ne risquent pas de dénaturer notre beau pays catholique avec des minarets, des nikabs ou des prières dans la rue... Les charters pour Rome, ils attendant toujours à Orly qu'on les remplisse.

Bref, c'était un vrai bon kiff. J'avais un a priori sur Hollande, et je dois dire qu'il m'a impressionné, ça fait plaisir de ne pas avoir à voter à reculer pour le PS, pour une fois. Maintenant, il reste moins de quatre jours avant l'élection. Dans les sondages, jusqu'à hier Hollande restait devant Sarkozy, qui a récupéré tout de même un point ou deux à force de poursuivre un par un les électeurs du FN. On ne peut pas lui retirer sa ténacité, sa combativité. Mais c'est à peu près tout ce qui lui reste aujourd'hui. En tous cas, même si rien n'est joué et que les indécis peuvent encore changer la donne, ce serait assez incroyable qu'avec son apparente avance, et surtout après un tel débat, Hollande s'incline. Même Copé et Morano ne semblaient plus croire les éléments de langage positifs qu'ils débitaient cette nuit. J'espère ne pas me tromper, parce que la déception serait... atroce. Mais pas autant que les 5 années qui nous attendraient ensuite.

Je vous laisse.

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