vendredi 20 juillet 2012

Tour de sieste


C'est l'été, les vacances, et le temps s'écoule comme du ketchup hors de sa bouteille. Lentement, très lentement, et poisseusement.

Tout un après-midi se présente devant lui. Il est là, désœuvré, désorienté à l'idée de n'avoir rien à faire après des semaines, des mois, passés au boulot, à toujours avoir quelque chose à faire, même si l'intérêt de ces choses n'est pas vraiment évident en général. Avoir quelque chose d'inintéressant à faire, ou n'avoir rien à faire, la jambe en mousse ou les canards, la peste ou le choléra ? Putain de vie.

Ah si, il sait quoi faire. Les infos viennent de se terminer sur la 2, lui vient de poser les reliefs de son repas dans le lave-vaisselle, et il décide alors de reposer son ventre repus et tout ce qu'il supporte - de moins en moins bien avec l'âge, il faut bien le dire - dans son fauteuil fétiche, celui en face de la télé, celui du patron de la famille, même s'il est tout seul aujourd'hui et qu'il ne peut appliquer son patriarcat qu'au chat, qui s'en tape pas mal les coussinets. Ca se fiche de tout, les chats, à part des chattes et de leur ventre. Pas mieux qu'un mec, en fait.

Ça ne l'empêche pas de tendre les jambes - pas le chat hein - sur son repose pied, de baisser le dossier au maximum, et d'allumer France 3. On est début juillet, et comme tous les jours, le Tour de France, sur le service public, remplace Derrick en tant que somnifère
télévisuel. Idéal pour bien digérer les restes de la blanquette de veau du week-end ranimée artificiellement au micro-onde.

Aujourd'hui, le programme est alléchant : une étape de plat, entre Limoges et Bordeaux. Chouette ! Sur France Télé, ils appellent ça une étape de "transition". C'est sûr que pour le transit intestinal, c'est idéal. Les seules obstacles que les coureurs devraient rencontrer sur la route seront les motos de France Télé et la somnolence. Les étapes de plat, c'est un peu comme un film de M. Night Shyamalan : le seul moment où il se passe un truc, c'est tout à la fin, quand les équipes de sprinteurs ont rattrapé les échappées - composées essentiellement de "ptits français" courageux et qui termineront invariablement au-delà de la 50e place - et qu'elles auront lancé leurs flèches à l'assaut de la ligne d'arrivée. Même chose pour le vainqueur du jour, ainsi que les 10 types qu'il a devancé, souvent pour un boyau : 100e place finale assurée, quand ce n'est pas l'abandon. Étrange sport, ou tu peux gagner le tiers des étapes et finir 150e.

Quand il était gosse, ceux qu'il voyait de son fauteuil remporter les étapes se disputaient également le maillot jaune. Merckx, par exemple, s'échinait à gagner toutes les étapes, histoire de montrer qu'il était le meilleur. Et pour ça il était détesté, notamment en France, patrie de Poulidor et des glorieux perdants, même si aujourd'hui il est adulé. Aujourd'hui, y a plusieurs courses différentes dans un Tour de France, mais ce ne sont pas forcément les plus essentielles qui ressortent. Il y a les coureurs qui sont là pour montrer le maillot, c'est-à-dire le sponsor, et dont le véritable métier est finalement VRP, mais avec moins d'allure. Je ne sais pas si vous avez déjà vu un cycliste en interview - oreilles décollées, bronzage disparate, nez pointu, voix nasillarde, accent de Roubaix, on dirait des candidats de la Télé Poubelle - mais ça vaut largement un Djibrill Cissé, dans un autre style mais tout aussi ridicule.

Y a les sprinteurs, ceux qui se battent pour le maillot vert, et qu'on voit au début, quand ça monte pas encore, et à la fin, quand ça ne monte plus. En général, ils sont deux fois moins nombreux qu'au
début. Et il y a le maillot à pois, celui des grimpeurs. Celui là aussi est un peu faussé : on sait bien que celui qui le gagne n'est pas le meilleur grimpeur. Pour qu'il le soit, il aurait fallu que tous les coureurs se retrouvent au pied de chaque col et qu'ils partent tous en même temps, sur la même ligne. Là, on saurait. Mais non, là ce sont les coureurs qui composent les échappées qui prennent les points. Et ils accélèrent pas toujours dans les cols... Pourtant, le vainqueur du maillot à pois - jamais compris le sens de la mode, au Tour de France - est toujours super populaire. Peut-être parce que n'importe qui peut le gagner, ou presque.

Pour gagner le tour, il faut être un vrai athlète, complet : être le meilleur au contre-la-montre : là ou les coureurs ne peuvent pas se réfugier dans le peloton ou derrière un coéquipier, bref une épreuve de vérité - et bien résister en montagne. Pas besoin de gagner ailleurs, autant se ménager. Pour les attaquants genre Voeckler, dont le nom est répété 15 fois par minutes par Thierry Adam parce que c'est le "chouchou des Français", ils ne peuvent enchaîner plusieurs étapes seul devant, et c'est une sale place au classement général assurée. peut-être que si des mecs comme Moreau, Chavanel ou Casar avaient eu autre chose en tête que de montrer le maillot, et avait décidé de courir un peu plus intelligemment, la France aurait gagné un autre Tour de France depuis 25 ans. Ça et Rolland Garros, ça commence à faire long. Est-ce que Hinault et Fignon était moins populaires parce qu'ils couraient pour gagner le Tour, et non pour gagner une étape de temps en temps ? A l'époque oui, aujourd'hui ils sont regrettés.

Bref, les étapes de plat c'est chiant. Il y a Thierry Adam et ses chuintements, qui vous rappelle les mêmes infos à peu près tous les quarts d'heure, et notamment la composition complète de l'échappée du jour, équipes incluses - un cauchemar, surtout quand ils sont 38 dedans ; il y a aussi Laurent Jalabert, dont le ton monocorde n'aide pas à l'éveil ; et surtout il y a Jean-Paul Ollivier, et son éternelle sinusite. Paulot la science, qui connaît par cœur tous les vainqueurs d'étapes, et même toutes les étapes, depuis un siècle, mais qui est
surtout la caution culturelle de France Télé. La moindre église, le moindre château, et le voilà parti sur une musique d'ascenseur - voire sur des chants grégoriens pour les abbayes - nous racontant l'histoire palpitante des ruines locales, en quelle années elles ont été construites, détruites, reconstruites, qui y a habité, pourquoi ça s'appelle comme ça... si la course monotone ne vous avait pas encore achevé, là c'est fait. Je défie quiconque de tenir éveillé plus de 2 minutes devant un tel traitement de cheval.

C'est donc idéal pour faire une sieste l'après-midi, pendant les vacances, quand les gosses ne sont pas là et madame est sortie ou travaille. Et il n'y a pas que les étapes de plat, il ne faut pas croire ! Même en montagne on s'emmerde maintenant. Pourtant, les organisateurs y croient, quand ils programment 3 ou 4 cols hors catégories pendant une étape. Ils se disent que là c'est sur, ça va attaquer, on va voir les meilleurs en action, que la vérité va sortir de ces pentes mythiques. Zobi ! Si on voit les meilleurs à la fin de l'étape, c'est juste par usure, certainement pas parce qu'ils se seront expliqués ou affrontés. Et si attaque il
y a - pas toujours, il y en a pas eu, cette année -, ce sera dans le dernier kilomètre de la dernière ascension, pas avant. A chaque fois, France Télé diffuse ces étapes majeures du début à la fin. Mais au final, c'est à peine plus palpitant qu'une étape de plat. Rendez-nous Derrick, bordel.

Dans son fauteuil, entre deux réveils en sursaut pendant les pages de pub, il se dit que même il y a quelques années, quand ils étaient tous dopés, c'était plus marrant. Il y avait des grands coureurs, qu'il connaissait, Armstrong, Contador, Ulrich, pas ce Higgins tout droit sorti de Magnum, avec ses rouflaquettes façon Louis-Philippe. Quand il regarde le classement général, il en connaît pas un. Ça lui a fait pareil il y a un mois quand il a regardé le classement de la WTA : le sommet du tennis féminin est décimé, lui qui dominait son collègue masculin il y a quelques années, avec les Williams, les Davenport, les Hingis... tient, encore le majordome de Magnum, bizarre...

Il faut dire que dès qu'un mec gagne ou est leader, il est soupçonné de dopage. Et souvent avec raison, d'ailleurs, avec une longue suspension à la clé... du coup, vu que tu ne peux même pas t'extasier devant un exploit en montagne vu que c'est forcément suspect, tu n'as plus aucune raison de savourer ce "spectacle". Reste la France, qui est belle. Mais pour les documentaires, y a France 5.

Pas de star, pas d'action, pas de rythme... parfait. De toutes façons, France Télé prends sûrement très bien le fait que 90 % des téléspectateurs dorment devant le Tour de France : c'est le meilleur moyen pour pas que les gens zappent. C'est comme ça que TF1 a fait son beurre depuis 25 ans, après tout.

Zzzzzz...

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