jeudi 15 novembre 2007

La grève expliquée aux cons


Bonsoir à tous,

En ce moment je ne travaille pas donc je n'ai pas à me déplacer, et donc je n'ai pas eu à en souffrir mais en ce moment c'est la grève en France. Je le dis au cas ou vous seriez dans mon cas, et que vous ne liriez ni le net, ni les journaux, ou n'écoutez la radio ou la télé. Et s'il y a une chose qu'on ne peut discuter, c'est le changement de mentalité envers cette institution vieille d'un siècle et demi, un des droits fondamentaux de l'homme à mon avis. Le Droit de Grève.

Ce n'est pas qu'un changement de regard, c'est plutôt que dans la foulée de Sarkozy, qui souhaitait une droite décomplexée, au point qu'aujourd'hui on recherche vainement une gauche du même type, les gens qui ont des idées peu avouables les avouent désormais, au point que ça en devient une véritable vague d'opinion. Aujourd'hui, une grève est vécue comme une agression aux yeux de la classe moyenne, celle qui vote parfois, et qui consomme beaucoup. Son quotidien habituellement réglé comme du papier à musique est en ce moment brouillé, c'est inacceptable. "Quoi, pas de train ? Les droits sociaux ? Et moi qui vais rentrer plus tard, qui vais devoir voyager dans un train bondé, au milieu de gens empuantis de parfums bon marché, vous en faites quoi ?"

Ca fait belle lurette que dans les JT, au moment d'une grève on interroge les pauvres usagers ou automobilistes bloqués dans les gares ou dans leurs voitures, "otages" des grèves, plutôt que les grévistes eux mêmes à propos de leurs revendications... Je me rappelle à l'école, quand on faisait grève déjà y avait des gosses qui nous traitaient de fainéants, ce qui prouve qu'on naît parfois de droite ou de gauche, qu'on peut avoir une conscience politique très jeune. Je ne crois pas que ce soit un changement d'opinion, c'est juste qu'aujourd'hui, plus que jamais, encouragés par la télé réalité, les sportifs et même parfois la politique, les cons osent l'ouvrir, disent des conneries - ce sont des cons, ne l'oublions pas - et l'assument, sous le regard émerveillé des télévisions, toujours plus friandes d'"authenticité", de "vrais gens". Ils sont authentiques, donc ils ont de la vérité plein la bouche, logique. Pourquoi on y avait pas pensé avant ?

Aujourd'hui, Steevy est un analyste politique, Pascal Nègre un critique musical et Bernard Laporte est ministre de la République. Ce sont nos philosophes d'aujourd'hui. Il y eut une époque ou ces derniers, comme Malraux ou Sartre, des écrivains qui savaient penser, bénéficiaient d'une parole écoutée, respectée... voire appliquée. Aujourd'hui, ils ne sont plus que chair à tarte à la crème ou client pour la jet set.

Et la grève, ça fait chier, paraît. Pas une voix, notamment à gauche - soit ils savent plus parler, soit ils arrivent pas à trouver un micro pour le faire, je pencherais pour une explication hybride, dans un pays ou les meilleurs amis du président sont des patrons de presse et de média - pour rappeler les sacrifices de dizaines de milliers d'ouvriers pour obtenir ce droit. Des gens qui ont été fusillés pour avoir seulement le droit de défendre le leur, de droit. D'avoir des vacances, de travailler moins de 40 heures par semaine pour pouvoir s'occuper de sa famille. Etre mieux payé, ne pas être traité comme du papier toilette, être respecté. Renier, voire réduire le droit de grève, par le service minimum notamment, c'est comme renier le droit de vote, le minimiser par des paroles du genre "j'avais mieux à faire", "tous pourris", "c'est pas ma voix qui va changer grand chose"...

Le front populaire de 1936, en pleine montée du fascisme en Europe - TOUTE l'Europe - , ce n'était pas de la gnognotte, c'était ça la véritable révolution, peut-être plus que celle organisée en 1789 par les bourgeois pour pouvoir avoir leur part du gâteau, accaparée jusque là pour la noblesse et le clergé. 1936, anniversaire absolument ignoré l'an passé. Les congés payés, ce sont nos vieux qui les ont obtenus, ce n'est pas tombé du ciel. 1936, pas à la mode, au pays de la droite décomplexée, du retour à l'ordre moral, du recul sur les droits sociaux. Au pays de TF1, de RTL et du Figaro, du tiercé et du beaujolais. Au pays de Bataille et Fontaine, de Pernaut, de Bouvard. Dans un pays de droite, quoi.

Il ne fait pas bon vivre en France, même si ce n'est pas spécialement mieux ailleurs, ce qui n'est pas antinomique. Difficile de discuter avec les gens quand les deux tiers d'entre eux ne sont pas de votre avis. Mais justement, c'est là que ça a le plus de sens, c'est quand on a la majorité contre vous - elle n'a pas toujours raison, malheureusement - qu'il faut plus que jamais être déterminé. Alors ce n'est pas demain que je quitterai le parti des grévistes, des révoltés, des insoumis, des humanistes. Des pieds écrasés dans un wagon surchauffé valent bien des milliers d'années d'exploitation sociale...

Billou.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je n'ai qu'un mot à dire : MERCI !
Heureusement qu'il y a encore des citoyens qui réfléchissent, qui expriment autre chose que des sentiments primaires et égoïstes, et qui voient au delà de leur propre petite existence. Le traitement de la grève dans les médias m'a exaspérée. Alors ça fait du bien de te lire, surtout si tu deviens journaliste !