Hello,
Hier j'évoquais l'Histoire telle qu'elle s'écrit actuellement, et qui ressemble, comme toujours, à celle qui s'est déroulé à d'autres époques. Aujourd'hui, je vais vraiment remonter le temps, un des trucs que j'ai toujours aimé faire. Quand j'étais gosse, à l'école, j'étais une tombe : les autres me faisaient peur, je ne parlais à personne, j'étais dans mon monde et je ne m'en portais pas plus mal. C'est du moins l'impression que j'avais... Au moins dans mon monde y avait une chance que personne ne se moque de moi parce que je ne portais pas les dernières baskets à la mode... bref, une fois, au collège, une fille m'a parlé, j'ai fait le mec qui s'en foutait parce que pour être honnête, le simple fait qu'un représentant du sexe opposé m'adresse la parole me terrifiait au plus haut point. Elle m'a parlé du fait que j'étais tout le temps tout seul, que j'avais pas l'air à l'aise ici. Elle savait que j'étais bon en Histoire, et elle m'a demandé : "t'aurais voulu vivre à une autre époque ?"
Etrangement, j'ai répondu oui. Sans doute parce que, quelque soit ma bizarrerie, j'étais un adolescent, donc il me manquait encore quelques cases pour savoir que si on vit 30 ans de plus en moyenne qu'aujourd'hui, et qu'on ne te coupe pas une main quand tu voles un truc, ça doit être pour une bonne raison. Des massacres y en avait autant, voire plus qu'aujourd'hui, mais ils avaient pas la technologie pour faire autant de dégats. Simplement, les temps anciens m'intéressaient parce qu'ils étaient finis, il n'y avait plus d'incertitudes à leur sujet : après 1515, on sait ce qui s'est passé, après 1789 aussi, etc. Et puis, ça aussi, c'est une sorte d'autre monde, dans lequel je pouvais me réfugier sans problème. Quand je pouvais réciter à n'importe qui la liste des Rois de France, avec leurs dates de règne (chose qui me serait difficile aujourd'hui, malgré mes études d'Histoire), ça me rassurait, j'avais l'impression d'être quelqu'un. Je crois que ça ressemblais un peu à de l'autisme, en fait...
Bref, j'aime l'Histoire.
Quand j'étais gamin, je dévorais les bouquins d'Histoire, mais ceux pour les gamins, des fins, parce que c'est bien connu, l'Histoire c'est chiant, alors on fait court, avec beaucoup de dessins, peu de textes et donc beaucoup de raccourcis faciles. Par exemple, dans beaucoup d'entre eux, on parlait du roi Louis XI comme d'un roi cruel, sans coeur, intelligent dans le sens malin, et en plus particulièrement laid. A part l'intelligence et la laideur, rien de ça n'est vrai.
A Saint-Jean-Pied-de-Port, j'ai emprunté aux parents de Mona un bouquin sur lequel j'ai flaché tout de suite, parce qu'il fait vieux livre, et ça c'est un truc que j'adore. J'avais un pote qui avait une bibliothèque extraordinaire, qui recouvrait tout un mur avec que des vieux bouquins qu'on ose à peine frôler du doigt tellement ils donnent l'impression de pouvoir tomber en poussière d'un rien. Je crois que j'ai dû passer des heures devant ce mur. Bref, ce bouquin parlait de Louis XI, et je l'ai pris parce qu'il me fascinait étant gamin. Il fallait que je résolve l'énigme sur ce type réputé pour les cages de fer ou il enfermait certains prisonniers, et qu'on avait accusé (à tort) d'avoir bu du sang de nourisson pour guérir sa maladie à la fin de sa vie.
Il a été écrit en 1971 par Paul Murray Kendall, un historien américain passionné par le moyen-âge et la renaissance. Et c'est une véritable mine d'informations à la fois sur le Roi, mais aussi sur les autres monarques de la région, et de l'époque aussi, à savoir le XVe siècle.
Il y a cinq siècles, avant que l'idée même qu'il y ait autre chose en face de la Pointe du Raz que des monstres et un grand trou ou les navigateurs imprudents ne manqueraient pas de tomber s'ils allaient trop loin, même si l'idée saugrenue circulait qu'en fait la terre pourrait bien être ronde, la Renaissance s'apprêtait à réveiller un monde endormi depuis 600 ans, à peu près depuis la mort de Charlemagne, en fait. En attendant, le Moyen-Âge prenait fin tandis que la guerre de 100 ans ravagait la France.
Louis XI est tout simplement le fils de Charles VII, vous savez, le roi fantoche qui ne faisait même pas peur à son chien, qui était sur le point de perdre la guerre face aux "Anglois", et qui a été porté sur le trône par une certaine Jeanne d'Arc, bergère de son état, avant de la trahir et de la vendre à l'ennemi. Un bel empaffé en somme, surtout qu'ensuite, il a bien emmerdé son fils, infiniment supérieur à son géniteur, et ce dans tous les domaines, y compris la laideur.
Bref, le jeune Louis est ignoré par son père, comme tous les Dauphins à l'époque : envoyé dans le sinistre chateau de Loche, dont la ville a depuis fait le bonheur des auditeurs des Grosses Têtes, il apprends à haïr son paternel, incompétent et imbu de lui-même, et surtout prends goût à la simplicité. Extrêmement intelligent, il est envoyé dans le Dauphiné (vu que c'est le Dauphin...) ou il révolutionne tout, rénovant la région et la modernisant. Son père, jaloux, inquiet du succès de son fils, le menace avec son armée ; du coup Louis court se réfugier chez son oncle, l'extrêmement puissant Duc de Bourgogne, et son fils Charles, futur Charles le Téméraire. Ca vous dit quelque chose ce nom non ? :p Encore un bel empaffé lui aussi, brutal et sanguinaire.
A l'époque, on était en pleine France féodale. La féodalité, c'était ce qui permettait à chaque Duc d'éditer ses propres lois, créer ses propres impots et sa monnaie à lui, posséder son armée... tout en appartenant à la France, officiellement. Du coup, celle-ci était morcellée, et le Roi avait du mal à se faire respecter ailleurs que sur ses propres terres, la Normandie, Paris, le Centre, les Pays de la Loire, grosso modo. Ca changeait beaucoup, parce que les terres s'échangeaient comme aujourd'hui les images Panini. Un noble marriait sa fille avec le Baron de Boursifaille, pouf il récupérait la Boursifaille. Pareil, dans les négociations, on obtenait que son puissant voisin ne vienne pas raser sa ville en échange d'une terre, d'une région entière. Louis XI fut un maître dans ces négociations de ce style. Je vous raconte pas combien de fois la Normandie ou la Picardie ont changé de main durant son règne... ça devait pas être facile à suivre pour les habitants cette affaire.
Bref, c'était un beau bordel. On va voir par la suite que les Ducs de France n'étaient pas décidés à lâcher aussi facilement des privilèges datant de la fin de l'Empire Romain.
En Bourgogne, sans doute le territoire le plus riche d'Europe à l'époque, qui s'étendait des Vosges aux Pays-Bas et la Belgique, Louis attend tranquillement que son vieux ne trépanne, puis récupère la couronne en 1461, à l'âge canonnique de 38 ans. Il commence alors son travail de sape, avec un objectif : unifier la France, en mettant fin à la féodalité. C'est comme si Besancenot arrivait au pouvoir et décidait de mettre fin à la mondialisation. Ou si un journaliste sportif décidait de parler de Lorient plutôt que de l'OM. Un truc impossible. Mais le gars va y arriver.
Il passera son règne sur les routes, habillé comme un bourgeois quelconque, entouré d'une cour minimaliste pour l'époque, à manger et dormir chez le premier paysan venu, et surtout à bosser comme un malade. Très populaire, très intelligent, c'est aussi un comédien né, doublé d'un négociateur redoutable : en fait, c'est le fond au profit de la forme. Exactement l'inverse de ses successeurs (François Ier, Henry IV et la série de Louis, de XII à XVIII...). Exactement l'inverse aussi de tout ce que la féodalité a fait comme ducs à l'époque, notamment les Ducs de Bourgogne, Philippe le Bon et surtout son fils Charles, et François II, le puissant Duc de Bretagne, qu'il ne faut pas pousser beaucoup pour s'allier aux Anglais. Heureusement, une trêve était en cours à l'époque avec ces derniers, occupés qu'ils sont à s'étriper entre ceux de la maison de Lancastre et ceux de la maison d'York.
A la mort de louis XI, en 1483, la Bretagne et la Bourgogne seront définitivement Françaises, ou presque, mais ça, personne ne le sait, parce que Louis XI est un roi méprisé par l'histoire. Pas de cour flambloyante et dépensière, peu de grandes batailles, et pas de maîtresses célèbres. En plus, il résidait loin de Paris, à Tours ou Amboise, et il était moche, mais ça je l'ai déjà dit je crois. En fait, c'était un peu le Jospin de l'époque : travailleur, qualifié pour le boulot, mais vraiment pas glamour du tout. Et ça, même à l'époque, ça n'aide pas pour devenir une star, et encore moins pour être reconnu à sa juste valeur.
Rapidement, les Ducs s'énervent des ambitions royales, notamment Charles de Bourgogne et Philippe II, et s'allient entre eux pour botter les fesses à l'impudent, et éventuellement se partager le Royaume en prime. Pour cela, ils enrôlent le frère cadet du Roi, Charles, encore un, histoire de le mettre sur le trône et gouverner à sa place. Oui parce que celui-là n'est pas très fin ni très déterminé : comme tous les frères de roi, il est frustré d'être passé tout près du bol de tombola. A un frère près... pas de pot hein.
Encerclé, Louis XI parvient à s'en sortir à force de négociations mais perd la Normandie au profit de son frère, qu'il regagne aussitôt après grâce à une technique toute simple : il monte les "alliés" les uns aux autres, et se mue en protecteur de son frère. Hop, il va pouvoir retourner à Honfleur en vacances.
Toute sa carrière, ce sera ça : à force de concessions, de dialogue, en retardant toujours au maximum le recours aux armes, il tient en échec ses adversaires, et impose toujours un peu plus le pouvoir de la couronne. Il sera un des premiers rois à s'intéresser au début de la renaissance italienne, en étant étroitement lié aux différents maîtres de Milan notamment. Je vous épargne tout le reste, je suis déjà un peu long...
Sachez qu'il arrêtera la guerre de Cent Ans, en renvoyant chez eux sans la moindre goutte de sang versé les Anglais, revenus récupérer ce qu'ils considéraient comme à eux, à savoir la France. Par là même, ils laissaient tomber Charles le Téméraire, qui comptait beaucoup sur eux pour se débarasser de l'"Universelle Araigne" (non y a pas de faute, c'était son surnom, dû à son réseau d'amis puissants partout en Europe). Du coup, ce dernier, incroyablement ambitieux mais affreusement mauvais politique et commandant d'armée, se tourne vers le Saint-Empire, en gros toute l'Europe centrale. Il veut envahir la Suisse et devenir l'héritier de l'Empire, mais se casse les dents (littéralement d'ailleurs, il finira quasi édenté et complètement fou) grâce au travail diplomatique du roi de France, qui ligue tout le monde contre lui et lui coupe les vivres en demandant à ses amis banquiers italiens de ne plus lui prêter d'argent, et finit à poil sur un lac glacé, près de Nancy, le visage dévoré par des loups, peu après le nouvel an 1477, après s'être pris trois branlées par les montagnards suisses, malgré une armée dont aurait pu rêver beaucoup de monarques du monde, le roi compris. Une majorité des restes de la Bourgogne, notamment le nord et l'est de la France, sont récupérés par Louis, qui a gagné son pari.
Quand il meurt, il laisse sa place à son fils, un de ses rares enfants légitimes (il en eut six illégitimes, c'était la mode à l'époque...) à survivre à l'enfance. Evidemment, il s'appelle Charles et devient Charles VIII, mais comme il a 13 ans à la mort de son père, sa grande soeur Anne prends la régence. Les Ducs essaieront aussitôt de prendre leur revanche, mais Anne, aussi intelligente et tenace que son père, va les battre tranquillement. Malheureusement, son frère est loin d'être aussi doué, la preuve, il meurt à 28 ans après avoir violemment heurté de son front un linteau de pierre placé trop bas... et la France va sombrer dans les guerres de religion, qui vont durer plus d'un siècle.
Bref, si ses héritiers pourront se pavanner, hermine au vent, à la tête du plus puissant royaume d'Europe, c'est principalement grâce à lui. Ce bouquin, je l'ai dévoré.
A plus !
3 commentaires:
ça m'impressionne toujours chez toi le fait que tu sois si passionné.
J'ai adoré ton post, parce qu'il fait bien sentir toute cette passion que tu as pour l'histoire :)
Pis ça change du foot :p
Merci beaucoup !
J'ai tout lu et même que c'était intéressant D
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