Salut à tous,
Imaginez qu'un doigt divin se décide à me désigner comme auteur de roman. Situation hautement improbable - tout comme l'existence d'un Dieu, d'ailleurs, d'où le lien - pour plusieurs raisons, et notamment parce qu'en plus du fait que je ne suis pas prêt d'avoir le courage, un jour, d'envoyer un truc à un éditeur, il est peu probable que je sois enclin à céder aux trompettes de la renommée chère à mon cher Georges. A la limite, si je publie un jour un bouquin, j'aurais presque envie de le faire sous un pseudonyme, et que je ne montre jamais ma tête à personne. Mais bon, admettons que je cherche à mettre ma vie privée en pâture, et que j'accepte de ne plus pouvoir aller acheter l'Equipe tranquillement.
Donc voilà, miracle, j'ai envoyé un texte à un éditeur qui, emballé par mon style tellement moderne et novateur, par ma plume virevoltante et le message si intéressant que je veux faire passer, a décidé de mettre le paquet sur moi. Le paquet, ça s'appelle notamment d'aller à la télé pour parler de mon bouquin. Et pour que ça marche, coco, y a qu'une émission qui fait vraiment vendre, c'est chez Ruquier, son générique insupportable - que les Rasmus aillent au diable jusqu'à la 35e génération - et son duo de procureurs, Eric Naulleau et Eric Zemmour.
L'émission est interminable, et son enregistrement encore plus, évidemment. Toi, pendant que tu écoutes Copé, premier invité qui, lui, n'a pas eu à réagir aux blagues de Ruquier en début d'émission, déblatérer son discours de faux-dèrche tête à claque, tu te répètes ce que ton éditeur t'as dit de dire. Que ton bouquin est peut-être écrit sommairement mais au moins il est accessible, que les Erics font un métier tellement facile de ce côté du monde littéraire, à donner les bons et - surtout, paraît-il - les mauvais points. Parce que forcément, ils l'ont détesté ton bouquin : les jeunes auteurs, ils aiment rarement. Étrangement, ils les passent plus à la moulinette que des mecs comme Kersauzon, qui ont de la réplique, à la fois orale et physique. Tu n'envoies pas paître de la même manière Alexandre Jardin et une morceau de barbaque d'1m90 qui a fait 15 fois le tour du monde.
Allez, c'est ton tour. Tu regardes l'émission toutes les semaines, et ce qui t'amuses à chaque fois c'est de regarder quelles tronches font les auteurs au moment de quitter leur inconfortable tabouret pour le fauteuil de l'invité. Bon nombre d'entre eux tirent une tête de dix pans de long, et ils n'auraient pas l'air moins guilleret s'ils étaient en route pour la guillotine. Parce que même si leur éditeur leur a répété que, quelque soit le jugement des deux lascars, ton bouquin se vendra comme des petits pains dès le lundi suivant, ce passage télé fait plus penser à un grand oral à vocation décisive pour ton avenir d'écrivain qu'à un simple exercice de promo.
Les Erics, malgré ce que j'ai dit juste avant sur Kersauzon, ne peuvent pas être accusés de ne pas être sincères et surtout calés dans leur domaine. Zemmour, qui nage dans les idées d'extrême droite comme d'autres barbotent dans leur baignoire, est cependant furieusement intelligent, ce qui est paradoxal, mais indiscutable ; il est surtout doté d'une culture historique et littéraire quasi insondable. On dit souvent que les idées frontistes bénéficient de la bêtise et de l'inculture de leurs défenseurs ; Zemmour en est le parfait contre-exemple. Ses connaissances, sa culture, il les utilise de façon biaisées, c'est tout ; il se pare de son amour pour les anciens temps et les vieux auteurs pour accabler la modernité, et donc les idées nouvelles depuis 50 ans, les droits de la femme, la mixité, le métissage des cultures. Pour lui, c'était forcément mieux avant, quand chaque pays restait bien à l'abri derrière ses frontières, histoire de pouvoir maltraiter à sa guise toutes les minorités, y compris celles, comme les femmes, qui sont majoritaires. Reste que sur le plan de l'Histoire et de la littérature, rares sont les gens mieux calés que lui.
Quant à Naulleau, qui est son pendant de gauche mais "modérée" - il manque donc une parole de droite "classique" dans cette émission - il possède également une excellente culture, mais bénéficie aussi de ses connaissances du monde littéraire, puisqu'il est lui-même à la fois auteur et éditeur. Difficile donc de les accuser d'arrivisme, comme on pourrait le faire de certains consultants médiatiques, comme dans le sport et en particulier le foot, par exemple, dans lequel Naulleau effectue également des piges, nettement moins convaincantes à mon avis.
Ce que les gens leur reprochent, finalement, ce n'est pas de ne pas connaître leur métier, c'est surtout d'être méchant. D'être cash, voire cruel. Demandez à Claire Keim (prem's !), Harry Roselmack ou Annie Lemoine ce qu'ils en pensent. Mais Naulleau a un argument imparable quand on lui sort ça, c'est de dire que quand ils sont gentils avec un invité et son "produit", celui-ci se plaint nettement moins, et surtout ne leur rétorque pas qu'ils sont faux-culs ou malhonnêtes ; tout d'un coup ils sont sacrément plus dans la vérité. On ne peut donc logiquement pas accepter si facilement leurs compliments et repousser tout aussi aisément leurs critiques, aussi acerbes qu'elles soient. Après, je ne suis jamais allé vérifier leurs dires sur un bouquin, parce que j'ai beaucoup de mal avec l'idée d'acheter un bouquin porté par une promo télé. J'y peux rien, c'est comme ça, moi un bouquin ça a un auteur au visage figé en 4e de couverture, rien d'autre.
C'est donc le ton qu'on leur reproche. On aimerait, comme ça se passe sur tous les plateaux télés de la Terre, ou presque, quelques remarques laudatrices et gentillettes, simplement destinées à faire vendre un bouquin par des animateurs ou chroniqueurs qui, le plus souvent, n'ont lu qu'en diagonale le fameux livre. Pourtant, les gens sont en permanence à la recherche de sincérité. "Dites moi ce que vous pensez, je ne veux pas de mensonge, juste la réalité". Au passage, passons sur le parallèle erroné entre vérité et réalité. Ce n'est pas parce qu'on dit ce qu'on pense que c'est vrai. Le Pen est extrêmement sincère, mais complètement à côté de la plaque.
Sauf que quand on la leur dit à ces gens-là, la vérité, ça passe très mal. Rares - et précieuses - sont ces personnes qui souhaitent qu'on soit absolument sincères avec elles, tant qu'on n'emploie pas un langage de supporter de foot envers un gardien de but qui dégage un ballon, mais qui réussissent à l'encaisser comme il le faut. Du coup, avec ces personnes, on ne peut pas gagner : si on leur ment, on perd parce qu'on est faux, et si on leur dit ce qu'on pense, on perd aussi parce qu'on est méchant. Au final, si la société a créé la langue de bois, c'est sûrement pour nous sortir de la condition animale : les seuls êtres vivants parfaitement incapables de tout mensonge marchent en général à quatre pattes ou avec des ailes, et ce sans moteur. Ils n'ont surtout aucune conscience d'eux-mêmes, ce qui explique qu'ils ne se soucient pas des sentiments de leurs congénères.
N'empêche qu'il faut savoir ce qu'on veut : de la sincérité, forcément cruelle puisque abrupte, et alors on l'accepte et on apprends à l'encaisser, soit de la sociabilité, ce qu'on a fait de mieux dans l'histoire de l'humanité, et on ne va pas chez Ruquier.
Je vous laisse.
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