En ce moment, c'est une fâcheuse habitude : comme les bébés - des autres, certes - avides de biberons, les castings ont une désagréable tendance à me faire me lever à 7h du mat, ce qui n'est pas un horaire raisonnable pour quelqu'un qui émerge rarement avant 9h.
Oui oui, je sais, y a un mot dans cette phrase qui vous a accroché la rétine : c'est le mot "casting" (et non le mot raisonnable, qui sonne aussi mal à mes oreilles que "biscuit" ou "billet", que je déteste totalement). Oui, ce matin, à un jet de gourmette des Champs-Elysées, je passais un casting. Mais je rassure ceux qui tentent de se remettre de m'avoir entendu chanter un jour, ce n'était pas pour X Factor mais pour
ça. Un casting sauvage pour recruter des chroniqueurs pour garnir la grille d'été d'Europe 1. Une super idée, qui se calque à un de mes rêves, quelque chose qui m'a toujours donné l'impression d'être fait pour moi : la radio. Pas de question d'apparence, de décor, rien du tout. Juste une voix et un micro. Le média idéal. Et surtout, on peut causer, aller en profondeur, discuter et ce en y allant en tongues et t-shirt.
Évidemment, depuis que j'ai vu cette annonce - et que j'ai décidé d'y aller -, je ne pense plus qu'à ça. Une grosse foule s'annonçait, forcément, et donc les chances de réussite s’évaporaient d'autant, mais j'ai un gros défaut, c'est que je ne peux pas m'empêcher de me faire des films. Finalement, si j'ose trop peu souvent de faire des choses, c'est parce que si je dois faire quelque chose, c'est pour réussir. Échouer, c'est une perte de temps, déprimante en plus. Donc si je sens que j'ai aucune chance, en général j'y vais pas. Mais là, j'ai pas hésité, alors que les chances étaient quasi nulles. Donc si j'y suis allé, c'est que quelque part je devais sentir que j'en
étais capable. De toutes façons, je m'en serais terriblement voulu de ne pas avoir essayé. Sauf que je déteste essayer, je veux faire quelque chose, pas essayer. Du coup, je me mets une pression énorme, je veux que ça marche, sinon je vais mal le prendre, je me connais.
Mais au risque de me répéter, j'ai autant de chance de devancer plus de 700 personnes à ce genre de concours que de gagner le Goncours avec mon dernier roman. Surtout que d'après certains échos sur Facebook, ils avaient déjà entendu quelques pépites au bout de 150 candidats. J'étais le 201ème... Du coup, comme plan B, où situer le curseur de la réussite ? Apparemment ils vont annoncer les vainqueurs vendredi, et mettre en ligne sur le site d'Europe 1 les 20 meilleures mardi prochain. Autant j'ai peu d'espoirs d'entendre mon nom durant l'émission de Ruquier en fin de semaine, autant j'espère vraiment faire partie des heureux élus du mardi.
Donc voilà, c'est pour ça que je me retrouve un peu avant 9h, au milieu de la rue François Ier, à quelques décamètres de la maison Dior, dans un quartier où espérer manger pour pas cher tout en évitant les calories de chez McDo ou Quick est aussi chimérique que d'y trouver un Kébab, et sous un ciel menaçant qui m'a incité - fort judicieusement - à emporter mon k-way. Devant nous - oui, mon Amour est venu me soutenir en cette heure matinale... -, une file en serpent devant les vénérables murs d'Europe 1, cette radio traditionnelle, certes, un peu vieillotte parfois, de droite, ça va de soit, mais nettement moins que RTL - cf cette
pub absolument sans équivoque sur son orientation politique, et qui donne un peu la gerbe si on a pas sa carte UMP - , moins répétitive que France Info et plus facile à trouver que France Inter, et que j'écoute depuis des années maintenant.
Au début forcément, on se réfugie soit entre ses écouteurs, soit derrière son portable, son journal ou son bouquin. Je choisis le journal, mais pas le bon : mon inconscient décide de me cataloguer aux yeux des observateurs et néanmoins concurrents qui m'entourent en sortant l’Équipe plutôt que Charlie Hebdo, que j'ai aussi acheté. Mais l'honnêteté me fait dire quand même que si j'ai acheté ce dernier, c'est que je sentais que j'allais avoir besoin de lecture. En fait, je ne l'ai même pas ouvert, et je n'ai fini l’Équipe qu'en revenant, ce soir.
La foule est plutôt jeune - enfin, trentenaire en grande majorité, quelques (vrais) jeunes, et peu de plus de 50 ans à vue de nez. Et peu de femmes aussi, même si le visionnage des différentes chroniques, visibles
ici, me montre que ces dernières ont du arriver plus tard que moi... ou nettement avant. Bref, à peine le temps de sortir mon journal qu'un type vient me parler. Pas très grand, typé de chais pas où, il commence à me raconter des trucs sans queue ni tête, me tapote l'épaule pour me parler en me faisant "eh m'sieur, eh m'sieur". Je fais comme tous ceux qui auront affaire à lui aujourd'hui : au début chuis gentil, je réponds - quand je comprends -, puis je commence à regarder ailleurs, avant de l'ignorer totalement. C'est pas qu'il était méchant ou agressif, il était juste RELOU, pénible au possible, à répéter en boucle ses "vous me tenez au courant hein", ou "en tout bien tout honneur". Le pire, c'est qu'en plus je culpabilise, la totale. Mais franchement, s'il ne changeait pas vite de tête de turc, la matinée s'annonçait TRES TRES longue.
Un moment il s'éloigne, je ne sais pas trop pourquoi, et là on se regarde dans ma zone avec un sourire entendu, et on commence à fraterniser. L'adversité, rien de tel pour créer des liens. Au gré de ses allez retours - dont un pour suivre une voisine aux toilettes d'un café voisin... - on rigole pas mal, on se moque très peu charitablement de lui, on discute de ce qui nous attends quelques mètres plus loin mais dans si longtemps, etc. En gros, y a ce que j'allais appeler la Parisienne type, si elle n'était pas originaire de Nancy à la base, une autre qui bosse dans le marketing et le jeune beau, étudiant, poils parfaitement taillés - et non rasés - particulièrement apparents, et à la voix soigneusement grave. Des Parisiens intra muros, qui parlent de Vélibs et qui disent ne pas supporter de quitter leurs arrondissements chéris, mais qui sont très sympas, comme quoi ça n'a rien à voir :p
Du coup, pas besoin de lecture, la matinée passe aussi vite que la queue avance lentement. Notre ami Manu - qu'on appelait "Steevy" avant qu'il ne nous apprenne joyeusement son prénom... - a le bon gout de ne pas nous prendre la tête de façon exclusive, mais de propager ce "talent" aux autres parties de la file, ce qui nous fait bien rigoler. Quand la caméra de "C à vous", émission de fin d'aprèm de France 5, vient interviewer quelques personnes, on lui envoie notre mascotte, qui monopolisera comme prévu la caméra pendant 10 minutes. Sauf que la journaliste, sentant, en bonne professionnelle de la télé, ce qu'ils appellent un "bon client", n'hésite pas à le relancer par d'autres questions, même si les réponses obtenues ont autant de
sens qu'un raisonnement arithmétique de Claude Guéant sur l'immigration et la réussite à l'école. Mais bon là aussi on s'en fiche, on se marre pas mal quand même.
C'est pas de la méchanceté, faut aussi comprendre qu'on était extrêmement nerveux, moi en tous cas, et fallait que ça sorte, que je cause. Et le principal sujet de conversation, c'était lui... Si vous voulez voir la tête de l'objet de nos tourments, la
voici. Oui, en photo, il est parfaitement supportable.
Sur le trottoir se succèdent Morandini, Ruquier, Laffont, bronzé comme un exilé monégasque et l'air terriblement pédant... on se fait mitrailler de photos des fenêtres... le temps s'écoule, insouciant. Mais sûrement.
Plus on se rapproche de la fin de la queue, plus la tension monte. Ça fait pompeux comme ça, mais c'est vrai : je ressens de mieux en mieux tous mes organes internes, en particulier mon colon, le bide, enfin bref je me fais dessus quoi. On commence à sortir son petit papier avec son texte tout froissé de sueur et/ou de pluie, s'il n'était pas protégé dans sa petite chemise, pour réviser. Moi il chauffait carrément dans ma poche, question de fusion entre un auteur et son œuvre j'imagine... au bout de la file, alors que j'entends battre mon cœur dans mes oreilles et que j'ai l'impression que mon espérance de vie baisse à chaque respiration, on nous donne des papiers à signer et remplir, qui disent qu'on abandonne en gros tous nos droits, intellectuels, d'image, voire les droits humains, vu qu'ils se laissent le droit de nous fusiller sur place au premier calembour foireux. Enfin c'est ce que j'imagine, vous ne pensez quand même pas que j'ai tout lu non ?
On nous laisse enfin rentrer. En fait, avec le jeune beau poilu qui se prénomme Thomas, on a découvert la salle avant les autres, obligés que nous étions par nos vessies non soulagées depuis presque quatre heures maintenant. En fait cette fameuse salle, que j'avais déjà vue une fois pour une émission de Ruquier, donne directement sur la rue : elle est plongée dans un noir-bleu qui donne l'impression qu'on vient de rentrer dans la salle de commande de l'Enterprise. A une première table, un mec nous raconte pour la 50e fois au moins de sa journée - vu qu'on rentrait 4 par 4 - qu'on va nous donner un numéro, qu'une fois dans la cabine un technicien nous parlera, faudra lui donner nos prénoms et numéros, qu'on a droit à 2'30 mais que si on dépasse un peu, c'est pas grave - sauf qu'à 2'50, ils coupent. Et aussi qu'on peut prendre une bouteille, un Mars et/ou un Twix, mais qu'ils ne nous conseillent pas de manger un Mars : ça colle aux dents. Et là effectivement, quand on s'imagine en train d'essayer d'articuler avec du caramel fondu dans les chicots, on a comme une sueur froide. Mais pourquoi ils nous les donnent alors ? Et si c'est un piège, pourquoi nous prévenir ? Voilà de l'argent bien utilisé, 700 Mars à la poubelle c'est bien vu.
Et puis voilà, on va s'asseoir en attendant qu'un abattoir se libère. Au-dessus de nous, derrière un panneau, des gens nous écoutent, dont
David Abiker, chroniqueur d'Europe 1 mais aussi de télé, ancien d"Arrêt sur Image" et cette saison chez Giesbert. Pas le plus marrant, loin de là, mais bon... Y a aussi des écrans, où on peut voir ceux qui passent en ce moment, entourés du bleu si typique de cette station, derrière leur micro à grosse bonnette bleue. Avec les trois autres, on s'est dit qu'on allait boire un verre ou manger ensemble après, et donc on passe l'un après l'autre, moi en dernier. C'est parti, that is the moment of the life of the revenge of the brrrr grrr rrrh.
Pas sûr que Guy Carlier, à sa grande époque, ou même moi à une non moins glorieuse partie de ma vie, aurait pu rentrer dans cette cabine B, mais là ça passait, j'ai bien fait de maigrir. Devant moi, ce micro énorme, un casque qui pend. Je m’assois aussi tranquillement que le permet l'adrénaline qui empoisonne mon corps depuis une bonne heure maintenant, puis met le casque. "Bonjour, comment ça va ? - Très stressé, et vous ?" Question idiote... Il m'explique ce que son collègue m'a expliqué y a 10 minutes, mais je capte un mot sur deux, peu importe. Comme souvent, le passeur, cette partie de moi qui me fait faire des choses que mon moi conscient se sent incapable de faire, prend les commandes.
Pour la première fois depuis que j'ai écris ma chronique - la quatrième tentative -, je la lis sans bafouiller une seule fois. J'arrive à peu près à respecter tous les mots que je dois appuyer et que j'ai écris en rouge, et j'arrive à donner le ton que je veux. Pas vraiment sûr que ça suffise, mais eu moins je n'ai pas de regret. Sauf peut-être de n'avoir pas pondu un meilleur texte, comme j'en faisais si facilement y a 10 ans, quand j'ai découvert le net, les forums et les factures téléphone astronomiques. Mais au niveau de l'interprétation, je n'ai pas failli a priori. Dans la mesure où à chaque fois que j'ai essayé de jouer, j'ai toujours été assez pathétique.
Une fois sorti, la pression ne retombe pas pour autant : maintenant, j'ai envie de savoir. Et tant que je ne saurais pas, je ne respirerais pas normalement, c'est aussi simple que ça. Purée, ce que ce serait bon !
Je vous laisse.