mardi 20 mars 2012

Deux minutes chez A&F

- Tu veux aller chez Abercrombie ?

Sur le moment, j'essaie de me rappeler de la chose absolument répugnante que j'ai pu faire pour mériter ça. Le Karma, ça ne se prend pas à la légère, et quand un truc aussi moche, aussi lourd vous tombe sur la tronche, c'est que vous avez fait un truc vraiment dégueulasse auparavant, genre laissé la lunette des chiottes relevée ou secrètement s'être satisfait d'une panne de courant au moment où votre copine s'apprêtait à regarder Top Chef. Bref, un truc qui vous qualifie direct pour la TPI si ça se sait.

Mais non, après avoir demandé, ce n'est apparemment pas une punition, elle veut vraiment m'emmener chez Abercrombie comme ça, pour me montrer. On est sur les Champs, sur le trottoir des commerces - en face, y a les banques et quelques restos - que l'on est en train de descendre vers la Jardin des Tuileries, et ce après avoir été enchanté par le très bon "Cloclo". Encore sous le choc de la très bonne performance de Benoît Magimel en Paul Lederman, je me dois d'encaisser cette nouvelle : on va aller voir Abercrombie. Non, je ne ferai pas des bonds de cabri, bien que l'envie me démange.

Moi qui déteste tellement les magasins de fringues, la mode, la branchitude, ce genre de magasin des Champs, c'est mon rêve, mon eldorado, le passage obligé vers le bonheur, mon Nirvana ultime. Pourtant y a le Virgin, la boutique du PSG (vus 12 000 fois, certes, mais bon) à voir, mais non, on va chez Abercrombie. Remarquez, voilà pourquoi je suis puni : pour l'avoir plusieurs fois emmenée voir la boutique du PSG. Après coup, ça tombe sous le sens, c'est même une sanction plutôt clémente, je m'en sors pas mal finalement.

Le truc extraordinaire, c'est que le magasin sent à deux cents mètres de là, minimum. Je récapitule : on est sur les Champs-Elysées, l'avenue la plus large et la plus fréquentée en voitures de Paris, avec toute la polution et les odeurs qui vont avec ; il y a 143 touristes au mètre carré, qui ont passé la journée à épuiser leurs chaussures et leurs parfums bon marché à sillonner les rues de Paris sous le jeune soleil de mars, et trimballent des auréoles sous les bras grandes comme l'Australie ; et c'est à deux cent mètres, minimum. Mais quand même, ça sent la cocotte. Mais pas une petite cocotte, hein, une vraie cocotte, un truc insupportable, Fleur de Vomi ou un truc du genre. La boutique du PSG, vous pouvez dire ce que vous voulez, mais à part de près et en mettant le nez sous les aisselles des vendeurs, ça sent rien, sorry. Je dis ça, je dis rien.

On traverse la grande avenue, et l'odeur se précise. L'entrée du magasin pue le mauvais goût, il y a une grille avec ABERCROMBRIE taillé dans le métal dedans. Devant, trois glandus sapés genre "on est trop cools et décontracts" nous baragouine un truc en anglais qu'ils ne comprennent peut-être pas eux-même. Ben oui, pourquoi un Parisien ou un Francilien viendrait se faire chier dans une merde pareil, alors qu'il y a tellement de magasins normaux ailleurs dans Paris ? Forcément, y a que des touristes qui viennent ici. Et nous, donc.

L'odeur commence à être très pénible. Après la grille, suit un chemin entre deux rangées d'arbres, qui surmontent des lampes qui doivent les éclairer le soir. A cet instant, j'ai l'impression d'être Tom Cruise dans Eyes Wide Shut, au moment d'aller dans le château où se déroule les parties fines. Vous inquiétez pas, ça m'arrive rarement de me prendre pour Tom Cruise. Oui, pour la taille, quoi d'autre ?

Bref, je m'attends à des vendeurs habillés en cuir et équipés de masques et de fouets, me proposant des activités déconseillées par l'Eglise Romaine. J'étais relativement loin du compte, mais finalement, j'aurais peut-être préféré.

Au bout du chemin, ça tourne à droite, et on arrive devant l'entrée, immense. Dans un vestibule, un type est là. Il est debout, il accueille également les gens en anglais, et il a manifestement pris la chemise de son petit cousin de huit ans ce matin. Ben oui, sinon pourquoi cette dernière est grande ouverte sur un torse parfaitement sculpté, avec deux écrans larges surmontant des tablettes de chocolat, tout cet attirail d'ordinaire retouché sur Photoshop étant dépourvu de la moindre petite particule capillaire ? Forcément parce qu'elle est trop petite, cette chemise, sinon c'est un peu indécent quand même non ? Au passage, j'aimerais bien voir son contrat et la dénomination de son poste : "agent d'accueil torse nu" ? "Gars musclé à l'entrée" ?

Et je note également le sexisme : ok, y a un mec qui montre ses nénés à tout le monde, les visiteuses sont contentes, elles ont gagné leur journée. Et les mecs alors, ils sont là pour éponger la larme de bonheur de leur compagne devant ce spectacle ? Et la fille à poil alors, elle est où ? Les bonnes habitudes se perdent, y a pas à dire. A moins que les tablettes soient aussi là pour satisfaire certains clients mâles, cibles prioritaires de ce genre de magasins, dans ce cas j'ai rien dit.

Non mais attendez, ça c'est rien. Lui, il a l'air normal par rapport à ce qui nous attends derrière.

On passe avec succès le test du type à la chemise trop petite - je ne le blâme pas, moi ça me fait pareil avec mes chemises, à cause d'un abdo unique beaucoup trop développé -, on franchit le vestibule et on arrive à l'entrée du vrai magasin. L'odeur est apocalyptique, et une Dance froide comme une porte-parole diaphane de Sarkozy est matraquée à fond les ballons par la radio. Devant nous, un couple danse sur cette bouillie.

Oui, ils dansent. Ils sont là, habillés comme des communiants, ils sont jeunes, minces et beaux, ils sont tendances, et ils dansent, côte à côte, face à la "foule" qui rentre dans le magasin. Ils ne dansent pas bien, hein, vu que ça doit faire entre trois et cinq heures qu'ils le font sur le même morceau, au même endroit, ils dansent un peu comme moi quand je danse, les avant-bras relevés, un pied vers l'avant après l'autre, façon le Mia quoi, mais ils dansent. C'est quoi leur rôle ? "Danseurs" ? Ok, je peux faire le Conservatoire alors, si bouger comme ça, c'est danser.

En tous cas, je leur souhaite de bien s'entendre, parce que danser pendant des heures devant des gens, OK, mais à côté d'un con, ça doit être très pénible.

Après le mec torse nu, après les jeunes qui dansent sans raison, on a enfin l'impression d'être dans un magasin. Le budget du magasin doit passer dans leurs salaires et le parfum, probablement relâché sans discontinuer par un tube de trois mètres de diamètre, parce qu'il fait sombre comme dans mon cul, donc au niveau électricité, à part la musique... pourtant, ils se font du blé : suffit de vendre une dizaine de bustiers à 150 euros, et autant de shorts en jean à 68 euros, et Joe Tablettes est payé pour le mois. Du moins, je l'espère, si c'est plus on peut parler d'emploi fictif...

Y a plusieurs étages dedans, et on a vraiment l'impression d'avoir investi une ancienne maison close. Comme personne n'a les moyens de se payer des trucs aussi scandaleusement cher, les vendeurs à leurs stands sont beaucoup plus désœuvrés que leurs collègues de l'entrée. Mais au moins, eux ne prennent pas froid ou n'ont pas les pieds en sang à la fin de la journée. En revanche, pour se débarrasser de l'odeur de cocotte, de retour chez eux... vous imaginez, nous une heure plus tard on sentait encore mauvais alors qu'on y avait passé deux minutes, alors après huit heures, à part un bain d'acide, je vois pas. Le célibat, peut-être.

Oui parce que figurez vous qu'on ne s'est pas attardé. Qu'est-ce qui nous aurait retenu ? Les prix attractifs ? La musique accueillante ? L'odeur ? Ah oui effectivement, avec tout ça je me demande pourquoi on y a pas passé la fin d'aprèm. On a étrangement préféré se balader vers l'Elysée - j'espère que notre odeur de cocotte est parvenu jusqu'aux narines des locataires du lieu - puis aux Tuileries, avant d'aller oublier cette mauvaise expérience devant un Japonais, à Montparnasse. Finalement, y a pas que ce qui est bien qui finit bien.

Je vous laisse.

1 commentaire:

Amandine a dit…

Je t'avais dit que c'était un truc à voir !!! :-D