Y a des métiers qui ne piquent pas des hannetons.
Le métier de footballeur par exemple, un qui m'inspire beaucoup. dans les centres de formation on t'apprends vite à être professionnel : ton adolescence passe à la trappe. Quand t'es footballeur, tu ne peux pas avoir d'opinion, tu n'es que deux pieds et une tête, qui ne doit pas réfléchir. Les seuls footballeurs ayant exprimé ou laissé entendre leurs opinions politiques, par exemple, puisque tout est politique au fond, étaient des footballeurs de gauche : Thuram, Dhorasoo, Savidan... dans un monde, par ailleurs pas si éloigné du reste de la population, plutôt à droite. Difficile d'être de gauche quand tu es éduqué au lance-pierre et que tu paies l'ISF. Seule l'extrême droite y est quasi absente : quand tu joues avec des Africains, des Antillais et des Sud-Américains, et que tu peux aller jouer ou tu veux quand tu veux en Europe, tu ne peux pas dans le même temps réclamer la fermeture des frontières, affirmer que la race supérieure est blanche, et que l'insécurité est une conséquence directe de l'immigration. Notez que cette dernière doctrine est largement relayée par notre gouvernement actuel, qui a parfaitement intégré les idées fascistes dans son programme et son action.
Quand t'es footballeur, pour rassurer les parents tu fais des études, on fait tout pour que t'aies un diplôme (en Europe en tous cas) mais pas trop quand même : si tu fais médecine, tu vas avoir du mal à consacrer le temps qu'il faudrait pour réussir une grande carrière de footeux. Un BTS d'économie, un BAC STT et emballez c'est pesé. Souvent, tu signes ton premier contrat pro avant tes 20 ans : nanti d'un salaire appréciable mais très largement en-dessous de ce que le salaire populiste anti foot voudrait nous le faire croire, genre un footeux se balade forcément en Ferrari, puisqu'il est milliardaire, tu ne peines pas trop à trouver un logement et fonder une famille. Les footeux sont très vite pères, ce qui explique pourquoi leurs fils, quand ils deviennent pro eux aussi, leurs succèdent très vite sur les terrains. L'Islandais Arnor Gudjohnsen, qui a joué à Bordeaux de 1990 à 1992, a réussi à jouer avec son fils Eidur, de 17 ans son cadet, en sélection !
Il y a plusieurs styles de footballeurs, comme dans la vie : il y a les pianistes, et les déménageurs qui portent le piano. Certains font les deux, genre des monstres comme Jean Tigana ou Emmanuel Petit, mais c'est quand même assez rare. Les joueurs sont très vite mis dans des cases à portes blindées, dont on ne s'échappe que très difficilement. Pour les déménageurs, c'est simple : c'est souvent à l'approche de la trentaine que tu es vraiment reconnu, après 10 années durant lesquelles les journaux t'auront mis 5,5 parce qu'ils ne savent pas vraiment qui tu es et comment t'as joué, avant de devenir l'âme d'un club de seconde zone, un capitaine courage, exemplaire. Exemple : Nenad Dzodic, défenseur central arrivé il y a 12 ans à Montpellier. Il marque trois buts en une semaine, et devient soudain l'âme du club, le patron que tout le monde écoute silencieusement... c'était évidemment le cas avant, mais dans l'indifférence générale.
Chez les pianistes, ou le génie survole tout le reste, le plus dur c'est de s'adapter à un sport plus physique qu'il n'y parait. Par exemple, des joueurs comme Stéphane Dalmat, Reynald Pédros, Camel Meriem et aujourd'hui Hatem Ben Arfa ont débuté de façon éclatante. Technique parfaite, dribbles chaloupés, buts somptueux, les médias s'emballent, mais ils n'ont pas adapté leur jeu, sont devenus prévisibles et sont restés des joueurs finalement ordinaires, après qu'ils aient pourtant été comparés à de grands anciens. En Argentine, dès qu'un numéro 10 brille, c'est le nouveau Maradona. Ortega, Aimar, Riquelme n'ont évidemment jamais réussi à assurer une relève impossible à relever, et sont tous en train des finir des carrières très moyennement, et très loin du haut niveau qu'on leur assurait. Aujourd'hui, Messi est tout proche de lui succéder. Mais après combien d'essais ratés... il n'a que 22 ans, il a le temps de faire comme ses malheureux collègues.
En France, on a eu trois grands joueurs, trois numéros 10 qui ont été à la tête des trois meilleures Equipes de France de l'Histoire : Raymond Kopa en 58, Michel Platini de 78 à 86, et Zidane de 96 à 2006. Trois enfants de l'immigration, qui viennent tous de milieux modestes et ont souffert du racisme, et qui se sont succédés avec entre eux 10 à 15 années de disette. Platini est arrivé tandis que la France continuait de casser les oreilles aux joueurs avec la génération Kopa, plus de 15 ans après. Zidane a été comparé à Platini, après que la même mésaventure soit arrivée à Vercruysse, Ferreri, G.Passi ou Christian Perez. Mais lui a su très vite se démarquer du Maître, vu qu'il n'avait que le numéro 10 comme point commun. Platini était un passeur-buteur hors-norme, un organisateur qui jouait souvent attaquant. Zidane était un soliste, accélérateur de jeu, moins passeur, moins buteur et exclusivement milieu, moins axial et aux gestes hallucinants. S'il n'a pas fait oublier Platoche, aujourd'hui plus aucun meneur de jeu n'est comparé à l'actuel président de l'UEFA.
Notamment pour une raison : en France, la comparaison n'est pas seulement technique ou tactique, elle est aussi raciale : tous les "nouveaux Zidane" qui s'ont apparus (et se sont tous plantés, ou quasiment) sont d'origine arabe. Meghni, Meriem, Nasri, Ben Arfa... et même son propre fils, Enzo, qui brille avec les jeunes du Real ! Seul Gourcuff, finalement le plus proche du Marseillais, est Breton. Et y a Benzema, un mélange de Zidane et du Brésilien Ronaldo. Les deux ont joué au Real, comme Benzema aujourd'hui. Comme dans la musique, ou quand un groupe de rock émergeait dans les 90's on parlait d'un nouveau Téléphone, il faut que la lignée prospère. Zidane a arrêté, mais y en aura forcément un autre qui arrivera, c'est pas possible autrement. Sinon, on gagnera plus jamais la Coupe du Monde, vous comprenez ?
Tout ça pour dire que si les pianistes n'évoluent pas, ne se reposent que sur leur talent, ils ne restent que des éternels espoirs. C'est ce qui attends les trois quarts du contingent. Il ne peut y avoir qu'un Ballon d'Or par an. Pour un génie avéré, combien de ratés ? Johan Micoud a attendu durant toute sa carrière que Zidane lui laisse un peu de place, en vain. Un joueur formidable, avec une belle carrière en club, à Bordeaux et en Allemagne, mais une expérience minime en sélection, ou il était difficile de faire jouer les deux. Anelka est l'exception : surdoué à 20 ans, raté à 25, star à 30. Un OVNI dans un monde du foot ou les trajectoires sont souvent si rectilignes, ou tu n'as droit qu'à un virage : une fois que tu stagnes ou baisses, dans 90 % des cas c'est fini.
Quand tu finis ta carrière, plusieurs solutions s'offrent à toi : soit t'as passé des diplômes et tu fais complètement autre chose - le champion du monde 1998 Guivarc'h, occasionnellement consultant pour Canal, vend des piscines en Bretagne, pas comme propriétaire hein, comme vendeur - soit tu restes dans le foot et tu deviens entraîneur en chef ou adjoint, directeur sportif - un poste pépère, ou tu contrôles tout mais ou t'es jamais viré quand ça va mal - voire président de club, ou alors tu deviens consultant. Là encore, y a plusieurs styles : ceux dont seuls les abonnés à Foot + savent que tu l'es - Luc Sonor, William Ayache... - et les stars, ceux qui ont gagné des Coupes du Monde par exemple. Dugarry, Desailly, Lizarazu, entre autres, ne font pas grand chose d'autre. Tu peux aussi mixer : les entraîneurs, par exemple, profitent des moments ou ils n'entraînent pas pour commenter des matches sur Canal (Elie Baup, Raynald Denoueix, Guy Roux...) en attendant de retrouver un poste. Deschamps, par exemple.
Si beaucoup de grands joueurs deviennent de grands entraîneurs, d'autres n'y arrivent pas (Papin, Mathaus...), tandis que des joueurs à la carrière médiocre, méconnue voire quasi inexistante deviennent de grands managers (Wenger, Houiller, Roux, Mourinho...).
Sinon, quand tu ne réussis pas au cinéma (Cantona), tu peux finir déprimé dans un HLM (Pédros) dormir dans ta voiture (Bellone) ou traverser des fenêtres (José Touré). Ou alors rien, tu reviens à la vie normale après avoir frôlé du doigt la gloire. Le défenseur Jacques Malhomme a joué à la fin des années 80 en réserve à Cannes avec un certain Zidane, 17 ans. A part 28 matches en Ligue 2 à Montceau, il a vite disparu de la circulation. Si des mecs comme Maldini ou Sheringham ont plus de 20 ans de carrière, il est impossible de compter le nombre de mec qui ont joué un match en pro, avant de ne plus rien faire après, de faire une carrière amateur. Dans ce cas, certains sont malins : Cédric Bardon, comparé à Van Basten étant jeune avant de décevoir, est allé jouer la Ligue des Champions à Chypre ou en Bulgarie, tandis que d'autres vont jouer en Roumanie (S.Zubar). Mais ce sont des exceptions, dans un monde qui ressemble à une pyramide très effilée, mais à la base très large.
Je vous laisse (piouf).