«L'identité nationale, pour la droite, c'est l'immigration, l'étranger»
Interview
L'annonce par le ministre de l'Immigration Eric Besson d'un «grand débat sur l'identité nationale» est dénoncée par l'opposition comme une stratégie électoraliste à l'approche des régionales. Pour le politologue Vincent Tiberj, la manœuvre est la même qu'en 2007.
Vincent Tiberj est chercheur en sociologie politique à Sciences Po, est l'auteur de La Crispation hexagonale (2008). Il revient sur le rôle joué par la question de l’immigration dans l'élection présidentielle de 2007.
Voyez-vous dans l'annonce d'un «grand débat sur l'identité nationale», à quelques mois des élections régionales, une nouvelle manifestation de ce que vous appelez la «crispation hexagonale»?
Oui, car le moment choisi pour ce débat n'est évidemment pas innocent. Il y a d'abord la volonté, de la part du gouvernement, de reprendre en main l'agenda médiatique pour faire oublier une séquence problématique pour lui: l'affaire Frédéric Mitterrand, les banques, Jean Sarkozy... Empêcher la focalisation, allumer des contre-feux, c'est une grande force de Sarkozy depuis 2002 déjà. Ensuite, n’oublions pas qu'un tel débat peut être instrumentalisé politiquement. Il suffit de repenser à 2007: jamais l'électorat n'avait été aussi à gauche, et pourtant les gens ont voté pour Nicolas Sarkozy. Pas seulement pour sa dimension charismatique ou pour le «travailler plus pour gagner plus», mais aussi parce qu'il a su jouer sur l'immigration et la crainte du communautarisme.
Enfin, s'agissant d'Eric Besson, il y a certainement la volonté de faire oublier les charters, d'élargir – par conviction ou non – le champ de son ministère qui n'a longtemps été que celui des expulsions. Fermeté d'un côté, ouverture de l'autre, c'est ce qu'on appelle la stratégie des deux jambes.
Est-ce au politique de lancer un tel débat?
Si on raisonne sociologiquement, l'identité nationale se construit au quotidien. C'est que que disait Ernest Renan lorsqu'il parlait de la nation comme d'un «plébiscite de tous les jours». Dans le même temps, travailler autour du «faire société» du «vivre ensemble», est une mission éminemment politique, et de ce point de vue ce débat n'est pas illégitime. Le problème, c'est que l'identité nationale au sens où l'entend Eric Besson et plus largement la droite depuis quelques années a un contenu très marqué politiquement, cristallisé autour de l'immigration, des étrangers. Et l'intégration telle que la perçoit le gouvernement est une intégration normative, qui passe par l'adhésion ou non aux valeurs républicaines. Il y a une volonté de distinguer, par la mise en avant de comportements ultra-minoritaires, comme la burqa.
Est-ce vraiment nouveau?
Ce que l'on constate, c'est que le débat sur l'immigration, qui dans les années 90 était systématiquement suspecté de «lepénisation des esprits», est aujourd'hui devenu légitime. Mais il est désormais associé aux valeurs républicaines, la droite a beaucoup travaillé là-dessus. Il y a une forme de préjugé de l'Etat autour de ce débat : les filles voilées sont nécessairement opprimées, etc. C'est une vision déformée de l'intégration qui, en réalité, fonctionne plutôt bien. Quand on mesure l'adhésion des enfants issus de l'immigration à des valeurs communes de la société française, on constate qu'ils ne sont pas moins intégrés que les autres.
En débattre aujourd'hui ne permettrait-il justement pas justement de soulever cette distorsion entre discours et réalité?
Si ce débat était apolitique, peut-être. Mais qui va choisir les intervenants? Ce que je crains, c'est que l'on aboutisse à une définition fermée de l'identité nationale, qui servirait ensuite de repoussoir, à l'élaboration d'une sorte de modèle idéal auquel les immigrés seraient sommés de se conformer.
Le 26/10/2009, sur Yahoo actus.
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