Salut à tous,
En ce moment, le football français est secoué par un scandale qui ferait presque passer celui de Knysna, l'été dernier en Afrique du Sud, pour une gentille engueulade entre le jardinier et le chauffeur du bus d'Arles-Avignon. Pourtant, hormis la ministre des sports, on n'entends pas grand monde au gouvernement crier au scandale. Logique, certains de ses membres, et pas des moindres, et au vue de leurs déclarations ces dernières semaines, n'auraient pas grand chose à rajouter aux propos qui auraient été dits dans les couloirs de la Fédé.
C'est Médiapart qui a mis les pieds dans le plat. Ce site d'infos payant, créé par Edwy Plenel, est particulièrement réputé depuis quelques années pour ses critiques contre le gouvernement - et en particulier son obsession pour la sécurité et sa lutte contre l'immigration -, mais aussi pour le sérieux de ses enquêtes. Mais c'est à ma connaissance la première fois qu'il s'intéresse au foot. Et il ne l'a pas fait pour rien a priori.
Il y était dit il y a quelques jours qu'en octobre dernier, durant une réunion, certains, dont François Blacquart, le DTN, et surtout Laurent Blanc, le sélectionneur, idole des médias et de leurs consultants qui ont pour la plupart joué avec lui, auraient évoqué l'idée d'instaurer des quotas ethniques au sein de la formation française. Ainsi, 30 % de celle-ci seraient réservées aux joueurs d'origine africaine ou maghrébine. Une révolution extrêmement étonnante, même dans le climat actuel particulièrement nationaliste, surtout dans un milieu, le football, certes de majorité de droite (forcément, vu l'argent qui y circule...) mais qui a toujours baigné dans un certain métissage. Difficile de ne pas aimer les noirs et les Arabes quand vous jouez au foot, ou quand vous entraînez, même si les tribunes sont parfois loin de partager ces idées progressistes... Et puis j'ai quand même du mal à imaginer Laurent Blanc, un mec certes un peu pompeux et sûr de lui, mais que j'imagine volontiers humaniste et tolérant. Surtout, ses sélections sont loin d'être qualifiés de "blanchisantes". Il suffit d'en parler à Adil Rami, Yann M'Vila ou Karim Benzema, même si son joueur préféré reste un gars "bien de chez nous", à savoir Gourcuff. Et pourtant...
Forcément, à la Fédé, ça a nié en bloc. Y a rien d'original hein, ce qui aurait été étonnant c'est de les voir arriver au micro et dire "ben oui, on fait ce que des esprits éclairés comme les Le Pen, Finkelkraut ou Georges Frèche nous conseillaient hein, on blanchit le foot, et là je ne parle pas des habituels sentiers financiers de notre milieu". Forcément, ça paraissait un peu gros, et depuis aujourd'hui on a des éclaircissements sur cette affaire, et les teintes de noir et de blanc se sont quelque peu grisées... sans effacer les traces de merde.
Y a eu dérapage, certes, du moins si la discussion révélée aujourd'hui par Médiapart est exacte, mais le constat de base restait exact. Au départ, on croyait qu'ils avaient seulement évoqué le fait que les dirigeants du football français souhaitaient se rapprocher du système de formation espagnol - après avoir été l'inspiration de toute l'Europe il y a 10 ans -, qui vient de gagner l'Euro et la Coupe du Monde, et qui se base sur des joueurs de petite taille extrêmement techniques, et accessoirement tous blancs. Et ils en auraient conclu que pour cela, il fallait écarter les noirs et les Arabes, absents des équipes de jeune espagnoles, favorisés depuis quinze ans dans nos centres de formation, car soi-disant plus costauds et physiques que techniques. Baky Koné, Samuel Eto'o, Ryad Boudebouz ou Karim Ziani peuvent en témoigner : c'est une ânerie aussi stupide qu'infondée et raciste, surtout. Mais manifestement, ce n'était pas le véritable sujet, même s'il en fait partie.
En fait, la discussion portait sur les bi-nationaux, ces joueurs nés en France mais dont les parents sont étrangers, et qui peuvent donc choisir la sélection qu'ils veulent : la France, ou le pays de leurs parents. Une caractéristique qu'on ne partage, en Europe, qu'avec l'Angleterre (Jamaïque, Nigeria...) et un peu l'Allemagne (avec les Turcs) : notre passé colonialiste, et notre propension, durant le siècle et après les deux guerres, à faire appel à des travailleurs étrangers pour remettre le pays en route nous a offert des générations de joueurs fabuleux, dont les trois symboles, Platini (Italie), Kopa (Pologne) et Zidane (Algérie). En 98, Desailly (Ghana), Zidane, Vieira (Sénégal), Djorkaeff (Russie) ou Trezeguet (Argentine), tous nés en France et indiscutablement Français, ont gagné la Coupe du Monde. Mais depuis les années 2000, la tendance s'est inversée, et le nombre de jeunes formés en France jusqu'en Espoir (moins de 21 ans) et qui choisissent ensuite le pays de leurs parents augmente chaque année. A la dernière Coupe du Monde, la France s'était privée de Nasri et Benzema, et n'avait sélectionné aucun joueur d'origine maghrebine...
On peut comprendre l'énervement des responsables de la formation française, qui travaillent pour fournir à l'Équipe de France des générations de bons joueurs, tandis que plus de 20% de ses derniers joueront ensuite pour un autre pays. Je me dis souvent que si Zidane avait débuté à notre époque, il aurait peut-être déjà porté le maillot de l'Algérie, comme c'est le cas de Boudebouz, un des plus sérieux talents de Ligue 1.
Certes, dérapage il y a (si c'est avéré). En effet, dans cette discussion ils parlent de limiter les joueurs ayant une double nationalité, ce qui est discriminatoire. En plus, ce sont surtout les clubs qui forment les jeunes (mais pas seulement, l'INF Clairefontaine aussi) et eux n'ont aucun intérêt à former ou pas de futurs joueurs de l'Équipe de France, du moment qu'ils jouent pour eux et/ou leur rapportent de l'argent à la vente... et puis, même si c'est problématique pour la France, ce n'est pas immoral que l'Afrique, exploitée depuis des lustres par les clubs français qui font venir des jeunes sans papiers pour grossir leurs effectifs de jeune, pour parfois les renvoyer ensuite à la rue, profite en retour de l'excellence de notre formation. L'Afrique abreuve l'Europe de grands joueurs depuis des décennies, c'est aussi normal qu'elle en récolte les fruits. Au Mondial l'an dernier, il y avait une vingtaine de joueurs algériens qui étaient également Français... ça faisait 24 ans qu'il que l'Algérie n'avait pas atteint ce niveau.
La discussion, selon Médiapart :
Erick Mombaerts (sélectionneur des Espoirs) : «Est-ce qu'on s'attelle au problème et on limite l'entrée du nombre de gamins qui peuvent changer de nationalité?»
Laurent Blanc :«Moi j'y suis tout à fait favorable. A mon avis, il faut essayer de l'éradiquer. Et ça n'a aucune connotation raciste ou quoi que ce soit. Quand les gens portent les maillots de l'équipe nationale des 16 ans, 17 ans, 18 ans, 19 ans, 20 ans, Espoirs, et qu'après ils vont aller jouer dans des équipes nord-africaines ou africaines, ça me dérange énormément».
Mombaerts : «Donc il faut 30% ? Un tiers de gamins qui peuvent changer (de nationalité)?»
François Blaquart (DTN) : «Même pas. On peut baliser, en non-dit, sur une espèce de quota. Mais il ne faut pas que ce soit dit.»
Francis Smerecki (sélectionneur des moins de 20 ans, qui s'apprêtent à disputer le prochain Mondial de la catégorie, dont ils font partie des favoris) : «Première chose, c'est discriminatoire [...] Ce qui me gêne sur le fond, c'est (qu'il y a) celui qui a la possibilité d'être français-français et d'aller avec Laurent (Blanc), et celui, parce qu'il n'a pas assez d'aptitudes et de talent pour aller avec Laurent et qui va aller dans un autre pays, et c'est celui-là que vous voudriez éliminer. C'est impossible.»
Blacquart : «C'est pas forcément l'éliminer».
Smerecki : «Le limiter ? Ça veut dire que vous allez garder lesquels? Les blancs ? Les moins bons ?»
Blanc : «On ne veut pas éliminer les étrangers, pas du tout, mais faire en sorte que les pôles Espoirs ou les pôles de la DTN testent sur des critères mieux définis pour pouvoir attirer d'autres personnes, parce que si on a toujours les mêmes critères, il y aura toujours les mêmes personnes. En ce moment, tu n'as pas le choix puisque tu as toujours le même stéréotype de joueurs; Qu'est-ce qu'il y a actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les blacks. Et c'est comme ça. C'est un fait actuel. Dieu sait que dans les centres de formation, dans les écoles de football, ben y en a beaucoup. Je crois qu'il faut recentrer, surtout pour des garçons de 13-14 ans, 12-13 ans, avoir d'autres critères, modifiés avec notre propre culture. Les Espagnols, ils m'ont dit : "Nous, on n'a pas de problème. Nous, des blacks, on n'en a pas. (...) Moi c'est pas les gens de couleur qui me posent un problème. C'est pas les gens de couleur, ce n’est pas les gens nord-africains. Moi je n’ai aucun problème avec eux. S'il n'y a que des — et je parle crûment — que des Blacks dans les pôles (de jeunes) et que ces Blacks-là se sentent français et veulent jouer en équipe de France, cela me va très bien».
Mombaerts : «Est-ce qu'on peut essayer de proposer avant la fin de l'année un projet, s'attaquer à quelques croyances bien établies, notamment le jeu, au détriment peut-être de l'individu. Mais le jeu, forcément, ça va être d'intégrer d'autres types de joueurs. Parce que le jeu, c'est l'intelligence, donc c'est d'autres types de joueurs.»
Il y a donc dérapage big time, basé sur un constat pourtant exact. Mais il est traité de façon complètement débile, raciste (considérer que d'autres joueurs que les noirs et les Arabes sont forcément plus intelligents...). C'est tellement dans l'air du temps... Si ces propos se révèlent exacts, ce que je n'espère vraiment pas, les démissions devront tomber. Et la tâche de Laurent Blanc, s'il devait rester, deviendrait encore plus difficile que celle de Domenech après l'Euro 2008. C'est dire.
Je vous laisse.