Son costume lui a coûté un mois de salaire au bas mot, mais il n'y pense pas vraiment, vu que toutes ses dépenses de campagne lui seront remboursées. Tout ce qu'il a dépensé pour parvenir là où il est en ce moment ne coûteront rien à personne, sinon au contribuable. Ça pourrait le choquer, lui, le gauchiste extrême, que le président se gave aux frais du peuple, mais maintenant qu'il a les manettes, la question ne se posera plus d'ici quelques semaines : ce ne sera plus seulement la masse qui paiera des impôts, mais cette petite minorité de privilégiés richissimes qu'il compte bien imposer autant qu'il pourra. Il l'avait annoncé, il a été élu quand même : il appliquera donc cette partie - énorme - de son programme. Quitte à ce qu'il n'y ait bientôt plus de riches dans le pays. Peu importe : ce qu'il veut, c'est pas qu'il y ait des riches en France, c'est qu'il n'y ait plus de pauvres.
Ses chaussures aussi, sont neuves, et ça s'entend dans le grand hall de l'Elysée, sur le sol de marbre qui a pu admirer la semelle de dizaines de présidents, tous plus différents les uns que les autres. Depuis un siècle, ils ont cependant un point commun : ils ont habité ce grand palais, qui a fait tourner la tête de Bernadette Chirac, et qui donne toujours l'impression au locataire du lieu comme à son peuple que le Président de la République est plus un roi élu, inaccessible, sacralisé, qu'un simple fonctionnaire de l’État qui aurait autorité sur tous les autres. La France a beau être fière de ne plus être un Royaume, et de toujours décider qui sera sa tête de gondole internationale, elle aimera toujours autant être dirigée par un Roi, lumineux, aérien, intouchable. Il suffit de voir l'adulation que les Français entretiennent pour la monarchie monégasque, pas vraiment la leur mais un peu quand même : elle parle Français et s'appelle Français, après tout.
Mais pas sûr que lui y reste, à l'Elysée. Il y est actuellement pour le protocole, et pour prendre la température... mais il n'est même pas sûr de pouvoir prolonger le congé exceptionnel que son patron lui a accordé il y a quelques mois, pour la campagne. Il a beau avoir devant lui cinq années de salaires dix fois plus conséquent que ce qu'il touchait jusque là à l'usine Ford de Blanquefort, en Gironde, il sait que Président ce n'est pas vraiment un choix de carrière longue. S'il est réélu, en 2017, Philippe Poutou aura 55 ans : même avec une telle ligne sur un CV, pas sûr qu'il retrouve du boulot rapidement d'ici à la retraite. Ça dépendra de sa politique et de son bilan durant cinq ou dix ans, qui sait. En attendant, même s'il arrête son boulot à Ford, pas sûr qu'il habite à l'Elysée. Trop grand, trop luxueux. Trop loin du peuple. A deux kilomètres aux alentours, des wagons de touristes, de boutiques et d'électeurs de l'UMP. Pas évident de trouver une supérette dans le coin... et pas sûr qu'ils servent les cannellonis dont il rafole.
Il n'a pas encore compris ce qui lui est arrivé en l'espace de trois semaines. Début avril, il plafonnait à 0,5 %, et semblait parti pour ne recueillir que les voix des quelques militants qui n'auront pas craqué pour Mélenchon, de ses parents et de quelques romantiques qui aiment son nom de famille. "Poutou", quand même... "le Président Poutou a rencontré la Chandelière Allemande..." Quel enfoiré ce Besancenot, de lui avoir mis cette galère dans les pattes. Qu'est-ce qu'il va faire maintenant ? Devenir Lénine ? Chavez ? Ou réussir ce que personne avant lui n'a réussi à faire, dans aucun pays : allier le Communisme avec la Démocratie ? Quand il y pense, il hallucine. Le regard de l'Histoire lui pèse d'une force herculéenne.
Sa candidature, comme toutes celles des apparentés communistes depuis la chute de l'URSS, puis celle, mécanique, des scores du PCF, au profit notamment du FN, n'était pas là pour faire joli, mais c'était tout comme : grâce au premier tour, elle permettait aux gens qui n'en peuvent plus d'être écrasés et rejetés par le capitalisme de s'exprimer, de râler, de dire que ça suffit, d'envoyer un message aux petites bites socialistes, qui ont limite honte de se dire de gauche : on est nombreux, et vous avez intérêt à nous écouter. Certainement pas pour élire un candidat trotskiste... surtout quand celui-ci n'a jamais fait de politique de sa vie, si ne on considère pas la lutte syndicale comme de la politique.
N'empêche, Besancenot n'a pas été élu, lui. Il a déjà prévu de le mettre Premier Ministre, histoire de tout mettre par terre. C'est bien pour ça qu'il a été élu, hein ? Pour renverser le système ! Après tout, voilà, on y est à la Révolution dont il bassinait les rares micros qui voulaient bien se tendre vers lui depuis six mois. Ils vont voir si c'était de la rigolade.
Il n'empêche que ce n'était pas prévu. C'est un peu comme le petit groupe musical qui vient jouer quatre ou cinq chansons en première partie d'un concert d'une méga star. Les gens écoutent par politesse, adhèrent parfois, dansent un peu, applaudissent, mais s'ils ont payé 50 euros leur place, ce n'est pas pour l'acclamer, lui. Là ils attendaient un duel Sarkozy-Hollande, ils ne l'ont pas eu. Pourquoi, déjà ?
Comment en était-il arrivé là ? De 0,5 %, il avait d'abord gagné 8 points d'un coup lorsque Mélenchon, cité dans l'affaire du Carlton de Lille en tant que participant occasionnel, il y a quelques années, avait du abandonner la course, alors qu'il frôlait les 14 %. Poutou avait alors tenté un coup de poker : il avait réussi à convaincre Nathalie Arthaud, l'autre candidate trotskiste, de le rejoindre. Le 10 avril, ils étaient à 12 %.
La suite était surréaliste. Hollande était filmé par un militant UMP infiltré dans le backstage d'un meeting à Limoges, en train de dire à des proches tout le mal qu'il pensait de son ex compagne, Ségolène Royal, affirmant que ça avait été "les pires années de sa vie", qu'il avait été "humilié" de devoir passer derrière elle lors de l'élection précédente, et que oui, bien sûr, il avait tout orchestré pour lui saboter sa campagne, "c'est humain, non ?" A côté, le coup de "Chriac est trop vieux" de Jospin, c'était du Châteaubriand.
L'effet avait été dramatique pour le candidat socialiste... mais aussi pour Sarkozy, qui n'allait bizarrement pas profiter de la chute soudaine des sondages de principal adversaire présumé. Hollande perdait dix points d'un coup, passant à 17 %, mais c'était surtout Poutou qui en profitait, puisqu'il passait d'un coup à 18%. Sarkozy passait de 28 à 29 %, et Marine Le Pen glanait deux points, à 17 %. Quant à Bayrou, il en gagnait également deux, passant à 12 %.
Son entourage pressait alors Poutou d'attaquer, vu qu'il avait une chance d'être au deuxième tour, mais ce dernier se découvrait un soudain instinct politique : il décidait de se montrer plus présent, mais sans attaquer les Socialistes. Il savait que ces derniers, en revanche, n'auraient plus le choix que de le chercher, ce qui n'allait pas manquer d'arriver : durant les trois jours avant le premier tour, Fabius, Valls et compagnie allaient se jeter sur lui, le traitant de danger public, d'illuminé, d'amateur... l'effet allait être ravageur. Les Français, dégoutés, allaient se prendre d'affection pour ce candidat simple, pas très à l'aise à la télé, mais qu'ils ne risquaient pas de retrouver un jour dans une partouze, et qu'ils n'imaginaient pas parler mal de son épouse.
Au premier tour, Sarkozy était arrivé en tête avec 28 %, Poutou deuxième à 21 %, Le Pen troisième à 17, Hollande - qui ne pouvait pas annoncer lui aussi qu'il se retirait de la politique, ça avait déjà été fait, mais on sentait qu'on n'était pas prêt de le revoir - à 15 et Bayrou à 13. De candidat accessoire, en multipliant par 300 son score, Poutou était passé au statut de présidentiable probable. Une sorte de 21 avril du troisième type. Ou plutôt du sixième.
Il était annoncé quasi à égalité avec Sarkozy pour la victoire, 52-48. Les reports de voix socialistes - il n'y croyait pas à ça non plus - n'étaient pas fabuleux, certains d'entre eux préférant voter Sarkozy ou s'abstenir plutôt que voter trop à gauche. En revanche, il récupérait les deux tiers des voix de Le Pen, et la moitié de celles de Bayrou ! Quand il y pensait, tandis qu'il tournait ses semelles trop bruyantes vers la salle du Conseil des Ministres, juste pour jeter un œil, piquer des voix aux centristes, c'était limite un critère d'exclusion du NPA... même s'il n'avait rien fait pour ça.
Un homme allait lui apporter la victoire : en échange d'un poste important au gouvernement, Montebourg, déjà le plus à gauche des Socialistes durant les primaires, allait venir le soutenir dans ses meetings, et Besancenot allait se dédoubler sur tous les plateaux pour faire le job. Poutou, en revanche, avait interdiction d'apparaître sur un plateau télé. Mais il allait quand même devoir passer le débat avec Sarkozy. Pour ce dernier, qui pensait déjà dévorer Hollande après avoir contrôlé Royal en 2007, c'était du tout cuit. Comment ce mollusque, qui était terrifié à l'idée de passer sur France 3 Auvergne, allait pouvoir lui résister ?
Toute la semaine, il allait travailler avec Montebourg et Besancenot. Djamel Debbouze, également, allait y mettre du sien. Tout ce beau monde allait se mobiliser pour transformer le timide et fade ouvrier de chez Ford en bretteur de première classe. Objectif ? Énerver Sarkozy. C'est ce qui avait peut-être perdu Royal en 2007, elle avait réussi à faire passer Gnafron pour un calme, impression qu'il allait vite mettre par terre dès les premiers mois de son mandat. Trop tard...
Jusque là, à la télé, Poutou avait soit l'air niais, soit il débitait les mêmes trucs comme un syndicaliste qu'il n'avait jamais cessé d'être, à la vitesse d'une mitraillette, ce qui repoussait les électeurs à des années-lumières de lui. Soit les deux. Il allait devoir apprendre à rester calme, à exposer ses arguments tranquillement, sachant très bien que les questions des journalistes, qui sont rarement Trotskistes, hormis à l'Huma, allaient le mettre en difficulté.
Grâce à ce travail, mais aussi un gros effort de sa part, il allait passer ce test sans coup férir. Rendu nerveux par la perspective de se retrouver condamné à être le nouveau Giscard, qui radote depuis 30 ans les mêmes âneries depuis sa défaite de 1981, Sarkozy allait se jeter sur Poutou, qui allait parfaitement esquiver les coups, tout en balançant quelques bonnes droites à son adversaire. Une, en particulier, allait faire mouche : "On ne vous aime pas, monsieur Sarkozy, alors partez dignement, au moins". Avec un petit air condescendant à la clé, c'était imparable.
Une semaine plus tard, durant laquelle la presse allait s'arracher sa personnalité et son tout nouveau charisme, Philippe Poutou était élu Président de la République pour quelques centièmes de points, 50,3 % à 49,7. Préparez les chars russes, et réservez les Champs Élysées.
Et le voilà, ce mercredi 9 mai, en train de se diriger vers son bureau. Décidément, ses pieds n'allaient pas pouvoir faire "couic couic" durant cinq années... voire plus. Il dénoua sa cravate, enleva sa veste, puis ses chaussures, et repris sa marche. Les murmures scandalisés derrière lui le ravirent : allez, il allait bien se marrer, autant en profiter.
Ses chaussures aussi, sont neuves, et ça s'entend dans le grand hall de l'Elysée, sur le sol de marbre qui a pu admirer la semelle de dizaines de présidents, tous plus différents les uns que les autres. Depuis un siècle, ils ont cependant un point commun : ils ont habité ce grand palais, qui a fait tourner la tête de Bernadette Chirac, et qui donne toujours l'impression au locataire du lieu comme à son peuple que le Président de la République est plus un roi élu, inaccessible, sacralisé, qu'un simple fonctionnaire de l’État qui aurait autorité sur tous les autres. La France a beau être fière de ne plus être un Royaume, et de toujours décider qui sera sa tête de gondole internationale, elle aimera toujours autant être dirigée par un Roi, lumineux, aérien, intouchable. Il suffit de voir l'adulation que les Français entretiennent pour la monarchie monégasque, pas vraiment la leur mais un peu quand même : elle parle Français et s'appelle Français, après tout.
Mais pas sûr que lui y reste, à l'Elysée. Il y est actuellement pour le protocole, et pour prendre la température... mais il n'est même pas sûr de pouvoir prolonger le congé exceptionnel que son patron lui a accordé il y a quelques mois, pour la campagne. Il a beau avoir devant lui cinq années de salaires dix fois plus conséquent que ce qu'il touchait jusque là à l'usine Ford de Blanquefort, en Gironde, il sait que Président ce n'est pas vraiment un choix de carrière longue. S'il est réélu, en 2017, Philippe Poutou aura 55 ans : même avec une telle ligne sur un CV, pas sûr qu'il retrouve du boulot rapidement d'ici à la retraite. Ça dépendra de sa politique et de son bilan durant cinq ou dix ans, qui sait. En attendant, même s'il arrête son boulot à Ford, pas sûr qu'il habite à l'Elysée. Trop grand, trop luxueux. Trop loin du peuple. A deux kilomètres aux alentours, des wagons de touristes, de boutiques et d'électeurs de l'UMP. Pas évident de trouver une supérette dans le coin... et pas sûr qu'ils servent les cannellonis dont il rafole.
Il n'a pas encore compris ce qui lui est arrivé en l'espace de trois semaines. Début avril, il plafonnait à 0,5 %, et semblait parti pour ne recueillir que les voix des quelques militants qui n'auront pas craqué pour Mélenchon, de ses parents et de quelques romantiques qui aiment son nom de famille. "Poutou", quand même... "le Président Poutou a rencontré la Chandelière Allemande..." Quel enfoiré ce Besancenot, de lui avoir mis cette galère dans les pattes. Qu'est-ce qu'il va faire maintenant ? Devenir Lénine ? Chavez ? Ou réussir ce que personne avant lui n'a réussi à faire, dans aucun pays : allier le Communisme avec la Démocratie ? Quand il y pense, il hallucine. Le regard de l'Histoire lui pèse d'une force herculéenne.
Sa candidature, comme toutes celles des apparentés communistes depuis la chute de l'URSS, puis celle, mécanique, des scores du PCF, au profit notamment du FN, n'était pas là pour faire joli, mais c'était tout comme : grâce au premier tour, elle permettait aux gens qui n'en peuvent plus d'être écrasés et rejetés par le capitalisme de s'exprimer, de râler, de dire que ça suffit, d'envoyer un message aux petites bites socialistes, qui ont limite honte de se dire de gauche : on est nombreux, et vous avez intérêt à nous écouter. Certainement pas pour élire un candidat trotskiste... surtout quand celui-ci n'a jamais fait de politique de sa vie, si ne on considère pas la lutte syndicale comme de la politique.
N'empêche, Besancenot n'a pas été élu, lui. Il a déjà prévu de le mettre Premier Ministre, histoire de tout mettre par terre. C'est bien pour ça qu'il a été élu, hein ? Pour renverser le système ! Après tout, voilà, on y est à la Révolution dont il bassinait les rares micros qui voulaient bien se tendre vers lui depuis six mois. Ils vont voir si c'était de la rigolade.
Il n'empêche que ce n'était pas prévu. C'est un peu comme le petit groupe musical qui vient jouer quatre ou cinq chansons en première partie d'un concert d'une méga star. Les gens écoutent par politesse, adhèrent parfois, dansent un peu, applaudissent, mais s'ils ont payé 50 euros leur place, ce n'est pas pour l'acclamer, lui. Là ils attendaient un duel Sarkozy-Hollande, ils ne l'ont pas eu. Pourquoi, déjà ?
Comment en était-il arrivé là ? De 0,5 %, il avait d'abord gagné 8 points d'un coup lorsque Mélenchon, cité dans l'affaire du Carlton de Lille en tant que participant occasionnel, il y a quelques années, avait du abandonner la course, alors qu'il frôlait les 14 %. Poutou avait alors tenté un coup de poker : il avait réussi à convaincre Nathalie Arthaud, l'autre candidate trotskiste, de le rejoindre. Le 10 avril, ils étaient à 12 %.
La suite était surréaliste. Hollande était filmé par un militant UMP infiltré dans le backstage d'un meeting à Limoges, en train de dire à des proches tout le mal qu'il pensait de son ex compagne, Ségolène Royal, affirmant que ça avait été "les pires années de sa vie", qu'il avait été "humilié" de devoir passer derrière elle lors de l'élection précédente, et que oui, bien sûr, il avait tout orchestré pour lui saboter sa campagne, "c'est humain, non ?" A côté, le coup de "Chriac est trop vieux" de Jospin, c'était du Châteaubriand.
L'effet avait été dramatique pour le candidat socialiste... mais aussi pour Sarkozy, qui n'allait bizarrement pas profiter de la chute soudaine des sondages de principal adversaire présumé. Hollande perdait dix points d'un coup, passant à 17 %, mais c'était surtout Poutou qui en profitait, puisqu'il passait d'un coup à 18%. Sarkozy passait de 28 à 29 %, et Marine Le Pen glanait deux points, à 17 %. Quant à Bayrou, il en gagnait également deux, passant à 12 %.
Son entourage pressait alors Poutou d'attaquer, vu qu'il avait une chance d'être au deuxième tour, mais ce dernier se découvrait un soudain instinct politique : il décidait de se montrer plus présent, mais sans attaquer les Socialistes. Il savait que ces derniers, en revanche, n'auraient plus le choix que de le chercher, ce qui n'allait pas manquer d'arriver : durant les trois jours avant le premier tour, Fabius, Valls et compagnie allaient se jeter sur lui, le traitant de danger public, d'illuminé, d'amateur... l'effet allait être ravageur. Les Français, dégoutés, allaient se prendre d'affection pour ce candidat simple, pas très à l'aise à la télé, mais qu'ils ne risquaient pas de retrouver un jour dans une partouze, et qu'ils n'imaginaient pas parler mal de son épouse.
Au premier tour, Sarkozy était arrivé en tête avec 28 %, Poutou deuxième à 21 %, Le Pen troisième à 17, Hollande - qui ne pouvait pas annoncer lui aussi qu'il se retirait de la politique, ça avait déjà été fait, mais on sentait qu'on n'était pas prêt de le revoir - à 15 et Bayrou à 13. De candidat accessoire, en multipliant par 300 son score, Poutou était passé au statut de présidentiable probable. Une sorte de 21 avril du troisième type. Ou plutôt du sixième.
Il était annoncé quasi à égalité avec Sarkozy pour la victoire, 52-48. Les reports de voix socialistes - il n'y croyait pas à ça non plus - n'étaient pas fabuleux, certains d'entre eux préférant voter Sarkozy ou s'abstenir plutôt que voter trop à gauche. En revanche, il récupérait les deux tiers des voix de Le Pen, et la moitié de celles de Bayrou ! Quand il y pensait, tandis qu'il tournait ses semelles trop bruyantes vers la salle du Conseil des Ministres, juste pour jeter un œil, piquer des voix aux centristes, c'était limite un critère d'exclusion du NPA... même s'il n'avait rien fait pour ça.
Un homme allait lui apporter la victoire : en échange d'un poste important au gouvernement, Montebourg, déjà le plus à gauche des Socialistes durant les primaires, allait venir le soutenir dans ses meetings, et Besancenot allait se dédoubler sur tous les plateaux pour faire le job. Poutou, en revanche, avait interdiction d'apparaître sur un plateau télé. Mais il allait quand même devoir passer le débat avec Sarkozy. Pour ce dernier, qui pensait déjà dévorer Hollande après avoir contrôlé Royal en 2007, c'était du tout cuit. Comment ce mollusque, qui était terrifié à l'idée de passer sur France 3 Auvergne, allait pouvoir lui résister ?
Toute la semaine, il allait travailler avec Montebourg et Besancenot. Djamel Debbouze, également, allait y mettre du sien. Tout ce beau monde allait se mobiliser pour transformer le timide et fade ouvrier de chez Ford en bretteur de première classe. Objectif ? Énerver Sarkozy. C'est ce qui avait peut-être perdu Royal en 2007, elle avait réussi à faire passer Gnafron pour un calme, impression qu'il allait vite mettre par terre dès les premiers mois de son mandat. Trop tard...
Jusque là, à la télé, Poutou avait soit l'air niais, soit il débitait les mêmes trucs comme un syndicaliste qu'il n'avait jamais cessé d'être, à la vitesse d'une mitraillette, ce qui repoussait les électeurs à des années-lumières de lui. Soit les deux. Il allait devoir apprendre à rester calme, à exposer ses arguments tranquillement, sachant très bien que les questions des journalistes, qui sont rarement Trotskistes, hormis à l'Huma, allaient le mettre en difficulté.
Grâce à ce travail, mais aussi un gros effort de sa part, il allait passer ce test sans coup férir. Rendu nerveux par la perspective de se retrouver condamné à être le nouveau Giscard, qui radote depuis 30 ans les mêmes âneries depuis sa défaite de 1981, Sarkozy allait se jeter sur Poutou, qui allait parfaitement esquiver les coups, tout en balançant quelques bonnes droites à son adversaire. Une, en particulier, allait faire mouche : "On ne vous aime pas, monsieur Sarkozy, alors partez dignement, au moins". Avec un petit air condescendant à la clé, c'était imparable.
Une semaine plus tard, durant laquelle la presse allait s'arracher sa personnalité et son tout nouveau charisme, Philippe Poutou était élu Président de la République pour quelques centièmes de points, 50,3 % à 49,7. Préparez les chars russes, et réservez les Champs Élysées.
Et le voilà, ce mercredi 9 mai, en train de se diriger vers son bureau. Décidément, ses pieds n'allaient pas pouvoir faire "couic couic" durant cinq années... voire plus. Il dénoua sa cravate, enleva sa veste, puis ses chaussures, et repris sa marche. Les murmures scandalisés derrière lui le ravirent : allez, il allait bien se marrer, autant en profiter.