dimanche 29 novembre 2009

Saint-Lazare


Un jeudi soir, à Saint-Lazare...

Sa valise au pied, Jean-Claude attends Chantal. Elle ne devrait plus tarder à présent, le dernier texto lui disait qu'elle était à la Défense, mais qu'il y avait des problèmes de RER. Elle pourrait donc aussi bien arriver dans l'instant ou dans une heure. Dans ce cas, ils pourraient s'asseoir sur le train de 22h23. Jean-Claude espère surtout que l'hôtel sera toujours ouvert quand ils arriveront. C'est que Mantes, ce n'est pas à côté non plus.

C'est-à-dire que dans ce genre de WE, le timing est capital. Chaque retard, chaque imprévu, et ça peut être la catastrophe. Jean-Claude ne sait pas trop ce que Chantal a dit à son mari à propos de ce week-end de trois jours, mais pour sa part l'excuse classique du séminaire a marché avec Marie. Hervé, son collègue et ami, le seul de ses collègues qu'elle connaisse et qu'elle appellera forcément, sera son alibi si elle cherchait à en savoir plus sans passer par lui. Mais si elle appelle à l'hôtel alors qu'il est ailleurs, tout peut s'écrouler.

Depuis qu'il trompe Marie avec Chantal, il faut dire les choses comme elles sont, jamais il n'a été fier. Mais il a toujours attendu ces moments à part avec une impatience telle qu'il a souvent craint qu'elle le trahirait auprès de son épouse depuis 11 ans, déjà. Une fois, Léa, sa fille de 4 ans, lui a sorti en pleine cuisine, et devant Marie : "Papa t'attends le Père Noël ou quoi, arrête de taper des pieds !" Quel amour, cette gamine. Pour noyer le poisson, il s'était précipité aux toilettes, ou il n'avait pas touché au journal qui l'y attend perpétuellement. Trop d'impatience, vraiment. Il en aurait pleuré.

Il aimait toujours Marie. Il l'avait aimé follement, dès leur rencontre à l'ESSEC. Il s'étaient mariés dès qu'ils avaient commencé de travailler, et leur aîné, Hugo, était venu au monde quelques semaines plus tard. Et puis, lui avait de plus en plus travaillé, et il y a 8 mois, il avait rencontré Chantal à un séminaire. Un vrai, celui-là. Une engueulade avec Marie au téléphone sur une histoire de couche culottes oubliées au magasin pour leur dernière, Emilie, un verre de trop au bar miteux de l'hôtel, une rencontre. Une semaine plus tard, ils se revoyaient tandis que Marie était dans sa famille en Ardèche, avec les enfants et sa soeur. Le samedi soir, il l'avait trompée pour la première fois.

Ca faisait deux semaines qu'il n'avait pas vu Chantal. Une éternité pour lui et, il l'espérait, pour elle aussi. Foutu RER, encore ses putains de fonctionnaires... Le train est dans 12 minutes, et après rien avant 20 minutes. Au-delà, ça s'annonce compliqué pour l'hôtel.

La voilà.

Elle est aussi belle que lui est un tombeur, c'est-à-dire très peu. Sans charme, elle porte cependant une tristesse dans son regard qui le touche perpétuellement. Chantal est en instance de divorce. Si elle se faisait prendre, c'était sûrement la garde de son fils qu'elle perdrait. Ce risque qu'elle prends à chaque fois parle plus à Jean-Claude que beaucoup d'autres choses. Et puis, il doit le reconnaître, et ça doit être vrai pour elle aussi, après un certain âge on est moins regardant sur le physique. Il a 41 ans, elle 46.

Ils sont réunis sur ce quai glacé, ou les fumeurs s'en donnent à coeur joie pour refiler leur futur cancer à ceux qui n'ont pourtant rien demandé, et qui ont la délicatesse, eux, de ne pas péter au nez des fumeurs pour se venger. Ils pourraient jouer à se balancer de la nitroglycérine, JC s'en fout. Après un premier baiser, ils se regardent. Toujours cette tristesse, cette fatalité qui l'habite, même si son sourire est sincère et radieux. Peut-être un jour lui racontera-t-elle ce qu'elle vit chez elle, au quotidien. Les femmes gardent leurs secrets comme les hommes les ignorent : pour se défendre, ne pas être trop exposé.

Ils s'avancent sur le quai, puis s'immobilisent et commencent à s'embrasser comme des collégiens. Le lieu n'est pas vide : le direct pour Houilles Carrières puis Mantes a toujours beaucoup de succès, même à 11h du soir en semaine. Les gens regardent ce couple de quadras, tous deux plutôt bien habillés, lui assez dégarni et ne s'occupant plus de sa valise, elle pendue à son cou, fermant doucement les yeux comme si elle embrassait son premier flirt au collège. Un couple, à quelques mètres, qui s'arrêtera à Houilles avant de prendre un train pour Maisons Laffitte, et qui viennent d'assister au Voyage de Victor, avec Macha Méril et Guy Bedos, devinent que c'est un couple adulterin : s'embrasser en public comme des jeunes amoureux au-delà de 40 ans, un jeudi soir avec une valise à ses pieds, ça ne trompe pas.

1 commentaire:

Cha a dit…

Très joli :)