Bonjour à tous,
Aujourd'hui, c'est feinéantise. Je vous invite donc à découvrir cet article des indispensables Cahiers du Football, qui montre à quel point la chasse aux arbitres est devenue une marotte aussi ordinaire que de tresser des lauriers à Mandanda ou parler de la femme du président.
Bonne lecture.
LA MAIN DANS L'œIL
Pierre Martini (avec M. G.) - jeudi 30 avril 2009
La pseudo-polémique sur la "main" de Ceará montre que dans le championnat de France des pleureuses, on n'a pas fini de nous gâcher le football avec le procès maladif des arbitres.
La chose était acquise dès le début de la saison: pertes de titres, relégations, non-qualifications... toutes seraient de la responsabilité des arbitres et de leurs erreurs (lire "Fous alliés"). Contrairement à l'adage, celles-ci ne sauraient donc s'équilibrer en fin de saison, chacune est décisive. Voyez donc Jean-Michel Aulas oublier certaines polémiques sur des décisions plutôt favorables à l'OL pour s'arrêter (ou rester bloqué) sur celles qui auraient empêché l'immense qualité de jeu lyonnaise de se concrétiser au score face au PSG.
On se demande d'ailleurs pourquoi les joueurs ne quittent pas le terrain dès qu'un arbitre leur "vole" le match. Saluons leur patience autant que leur capacité à nous livrer des scènes d'anthologie pour le Replay, comme celle qui vit le vénérable Éric Da Rocha, au sortir du terrain, s'épancher devant la caméra de Canal+ et pointer du doigt le responsable de ses maux (Thierry Auriac, arbitre de Nancy-Nantes... pour avoir sifflé un coup franc parfaitement justifié). "Il y a des gens qui nous enfoncent", pleurniche le capitaine canari, Caliméro de la semaine (1). Sans parler du sketch de Guy Lacombe la semaine précédente (voir le Replay 19).
Sars sert à quoi ?
Laissons de côté Jean-Michel Aulas, les psychiatres vont passer le chercher (lire "La minute de JMA"), pour revenir quand même sur ce cas d'école de la "main" de Ceará (2), abondamment commenté, notamment à partir de cette fameuse notion de la main (ou du bras) "décollé(e) du corps"... C'est-à-dire une de ces idées fausses, comme celle du "dernier défenseur", qui permettent à des spécialistes ignorant la règle de juger de la compétence des arbitres. On devrait alors pouvoir compter sur l'expertise des anciens arbitres, devenus consultants, pour remettre les pendules à l'heure...
Joël Quiniou, dans L'Équipe, n'a pas ce courage: il se contente d'évoquer le problème des joueurs qui "amplifient leur surface corporelle défensive" pour augmenter leurs chances de contrer la balle. Question tout aussi difficile à trancher que celle de l'intentionnalité de la main, et qui renvoie à elle de toute façon. Ça tombe bien, le caractère délibéré ou non du geste est le seul à être énoncé dans la loi XII (3).
Alain Sars, suppléant Gilles Veissière sur le plateau de Canal Football Club, s'est pour sa part assis sur cette règle pour mieux servir la soupe. Au vu une série de ralentis apportant de l'eau au moulin des vérités contradictoires, il assène pourtant: "Y a t-il main? La réponse est oui. Est-elle décollée du corps? La réponse est toujours oui. Et est-ce que cette main a changé la trajectoire du ballon? La réponse est oui. (...) A mon sens, il y a penalty même si ce n'est pas volontaire". Pour allumer ses anciens collègues, on peut donc aller jusqu'à contredire la règle.
Tout est bon dans le cochon d'arbitre
Cas d'école, disions-nous. Car si l'on veut bien de ne pas confondre une impression personnelle avec la vérité, l'action de Ceará est très difficile à interpréter, elle interdit même d'être catégorique. Même si c'est assez peu probable, il n'est pas impossible que dans sa cascade aérienne, Ceará ait anticipé la trajectoire du ballon et soit parvenu à lancer son bras arrière dans le bon tempo pour contrer le ballon sans le regarder. Il est tout aussi possible de considérer, comme Bertrand Layec, que le mouvement de balancier qui accompagnait la retombée du joueur était naturel, et non intentionnel.
En d'autres termes, la décision de l'arbitre est parfaitement valable. Hélas, la machine à transformer des décisions par nature discutables en "erreurs d'arbitrage" fonctionne en mode automatique. On peut même être absolument certain que si l'arbitre avait choisi de siffler un coup de pied de réparation, il aurait été fustigé avec la même virulence, par les mêmes individus.
Ainsi Vincent Duluc, dans son compte-rendu du match, estime que "les Lyonnais ont sans doute été délestés par M. Layec, hier soir, d'un penalty pour une faute de main de Ceará", assurant plus loin que "Lyon (...) aurait plutôt mérité de gagner ce match. À cause du penalty (sic) bien sûr (...)" [s'ensuit le rappel du tir de Benzema sur le poteau NDLR]. Expliquer à la populace si bien excitée qu'il n'y a aucun scandale n'entre pas malheureusement pas dans les prérogatives des journalistes: il s'agit au contraire d'exploiter le filon.
Chasse ouverte toute l'année
En marge de cet épisode, une polémique s'est développée à la suite de la demi-finale de Coupe de France qui a vu Guingamp éliminer Toulouse et été le théâtre de décisions contestées d'Éric Poulat (4). À cette occasion, c'est Noël Le Graët, président de l'EAG et vice-président de la FFF qui s'était vilainement lâché sur l'arbitre (5), avant de se scandaliser que la Direction nationale de l'arbitrage et le Conseil supérieur de l'arbitrage aient espéré que des sanctions soient prononcées à son encontre (comme cela doit théoriquement être le cas pour n'importe quel dirigeant), réclamant même que ses accusateurs passent devant le Conseil national de l'éthique! On ne saurait mieux résumer le sentiment d'impunité qui règne, la mise en cause des arbitres étant devenue une activité aussi institutionnelle qu'obsessionnelle.
Narrant l'affaire, un article de L'Équipe (24 avril) trouve normal de la rapporter – comme pour justifier les dérapages – à cette assertion: "Le problème, c'est que les arbitres français) n'arrêtent pas de se tromper", le journaliste citant trois exemples de son cru. Se trompent-ils plus qu'avant ou bien leur impute-t-on plus d'erreurs qu'avant, y compris des erreurs imaginaires? Faussent-ils vraiment les matches à eux tout seuls? Surtout, l'éthique sportive n'oblige-t-elle pas à un tout autre respect, non seulement de l'arbitre, mais aussi du principe même de l'arbitrage? (6)
Ce n'est pas le problème de ceux dont le métier est de dénoncer l'incompétence des arbitres, quand ils ne suggèrent pas leur malhonnêteté. Pourtant, combien de ces censeurs ont fait la démonstration de leur incompétence dans le domaine des règles et de l'arbitrage (lire aussi "Au pays des aveugles"), méconnaissant aussi bien l'esprit que la lettre? Et combien versent allègrement dans la malhonnêteté intellectuelle pour alimenter des polémiques infantilisantes et malsaines?
(1) "Demandez à l'arbitre en gris si on n'a pas grillé de joker ce soir. C'est lui qui nous a grillé le joker, ce soir!" (Canal+).
(2) Sur un corner, Ceará est au duel avec Benzema, dont la tête est contrée par le bras du Brésilien, en train de donner un coup de tête dans le vide en direction opposée.
(3) Un coup de pied de réparation sanctionne l'une des dix fautes commises par un joueur dans sa propre surface de réparation. En la circonstance: "toucher délibérément le ballon des mains".
(4) L'inénarrable Joël Quiniou, dans sa chronique, reproche à Éric Poulat d'avoir donné un second carton jaune à Soumah, assez bête pour retarder l'exécution d'un coup franc en dégageant le ballon... Puis il l'accuse d'avoir "privé" les Bretons d'un penalty pour une faute "d'abord à l'extérieur continuant puis légèrement à l'intérieur des 16,50 mètres" – omettant de dire qu'en pareil cas, le choix du coup franc ou du coup de pied de réparation est à l'appréciation de l'arbitre, simplement pour mieux charger la mule.
(5) "Nous avons gagné à dix contre douze. M. Poulat est dépassé par les événements depuis quelque temps déjà (...) Je crois simplement que c'est quelqu'un qui est dépassé par les événements (...) Ce n'est pas méchant, mais il ne peut plus arbitrer à un bon niveau". Noël Le Graët est convoqué le 7 mai devant la Commission de discipline.
(6) En admettant que les arbitres soient à moitié aussi mauvais que les experts le prétendent, les démolir systématiquement et personnellement ne peut que ruiner tous les efforts de recrutement et de formation pour l'avenir. Personne n'a souligné, non plus, que l'appréciation de la plupart des actions litigieuses récentes (dont cette épidémie de mains dans la surface) auraient été grandement facilitée avec l'arbitrage "à cinq" et son juge placé derrière la ligne de sortie de but.
Je vous laisse.