mercredi 30 juin 2010

Un extrait qui ne sera sûrement jamais publié


Il faisait incroyablement beau sur New York, ce matin là. Enfin, sauf à un endroit, que tout le monde – sans la moindre petite exception – regardait d’un air absolument effaré, voire terrifié. Pas en avance, il n’avait cependant pas tout de suite jugé utile d’imiter ces milliers d’yeux affolés, et avait commencé à se diriger vers l’hôpital, lorsqu’une femme, épaisse, rousse et manifestement hystérique, les yeux sortant de ses orbites et la bouche ouverte en grand, s’était ruée sur lui en hurlant « JOHN !!! JOOOOOOHN !!! » et l’avait bousculé d’une telle force qu’il s’était retrouvé projeté au sol, le contenu de son attaché case se répandant sur le trottoir. Se relevant, ramassant ses quelques affaires, il s’apprêtait à repartir vers l’hôpital lorsqu’il vit la fumée. Et l’avion, derrière.

Le seul nuage présent dans le ciel ressortait en lourdes volutes de l’énorme trou qui garnissait le haut de la tour nord du World Trade Center, qui se situait pour sa part à environ six kilomètres de là, quasiment de l’autre côté de l’île de Manhattan. La tour sud avait parue intacte, tandis qu’un Bœing, tel un aigle se jetant sans pitié ni hésitation sur sa proie, se dirigeait tout droit, et à toutes berzingues, vers ses fenêtres. Lorsqu’il les avait percutées, l’appareil avait disparu pour fusionner avec l’immeuble, d’où avait alors surgi une gigantesque langue de flammes, et qu’un trou géant, identique à celui qui avait semblé s’agrandir dans la tour nord, s’était formé dans son flanc.

A cet instant, certaines fonctions de son corps, qu’il estimait parfaitement connaître, en spécialiste avisé et diplômé de l’anatomie humaine, avaient donné l’impression à Brett de s’éteindre, de faire grève devant un tel spectacle : la conscience de lui-même, le cœur, sa mâchoire notamment. Sa vessie aussi, qu’il avait heureusement pensé à vidanger juste avant de sortir de chez lui, ce qui avait limité fortement les dégâts.

Son copieux petit-déjeuner du matin – bacon, œufs, saucisses, café serré et des pancakes, beaucoup de pancakes littéralement inondés de confiture et de beurre de cacahuète – avait ensuite eu l’idée un peu dingue de rebrousser chemin, peut-être pour jouir à son tour du film catastrophe qui se déroulait dehors, et tenté de remonter de son estomac, mais Brett était parvenu à se retenir de vomir sur son voisin de devant, non sans mal. Qui sait, peut-être celui-ci ne s’en serait pas rendu compte tout de suite. Après tout, la rue était noire de monde, les immeubles s’étaient vidés et les gens étaient tous hypnotisés par les deux tours en flammes, sans exception notable. Les hommes d’affaires manucurés côtoyaient les SDF barbus, hirsutes et noirs de crasses, tandis que des mères de famille consciencieuses semblaient momentanément oublier leur gamin beuglant dans leur poussette, effrayés qu’ils étaient par le bruit et l’atmosphère de la rue devenue soudain d’une épaisseur sans nom.

Si il avait réussi à ne pas consteller de restes de pancakes à la confiture la veste de velours du type d’en face, Brett n’en avait pas moins eu l’impression qu’une personne mal intentionnée – la majorité silencieuse à New York, selon lui - avait essayé de lui piquer l’intégralité de son appareil intestinal en tirant bien fort dessus, à la place de sa montre ou de son attaché-case. Oui, le monde venait vraiment de changer, et ce en quelques minutes.

Des hurlements, féminins et masculins, avaient fusé de toutes parts dans la rue, Dieu était appelé un peu partout, et les passants avaient plaqué leurs mains sur leurs visages défaits, sur lesquels se lisait sans peine une horreur innomable. Lui-même n’avait pas eu conscience tout de suite de sa mâchoire qui pendait lamentablement, ses yeux porcins, derrière ses grosses lunettes d’écailles, ne cessant de s’arrondir de stupeur. Des groupes de personnes, instinctivement, s’étaient regroupés en des petits tas distincts, comme si cela avait pu les protéger d’un éventuel troisième avion fou, destiné cette fois à la rue new yorkaise.

Brett participait là à une véritable expérience de cauchemar collectif, chacun semblant vivement espérer se réveiller très vite. Il était évident qu’ils avaient trop été au cinéma ces derniers temps, et c’était bien la dernière fois qu’ils se regardaient le DVD de Die Hard 2 avant d’aller se coucher. La foule, qui, avant l’arrivée du deuxième avion, avait cru à un accident d’avion particulièrement incroyable – s’écraser dans une tour, ainsi grande et large eut-elle été, relevait du hasard des plus coriaces, mieux qu’un strike chanceux au bowling – s’était désormais unanimement reporté sur la thèse indiscutable de l’attentat, et cela changeait tout.

De spectateurs horrifiés et désireux d’appeler leur entourage pour raconter la scène, les New Yorkais étaient devenus en une petite seconde de véritables cibles, et ils avaient eu également dans le même laps de temps une certitude : le monde ne serait jamais plu le même après un évènement de cette taille. Et il n’allait sans doute pas être rose. Un peu comme pour le premier pas sur la Lune de Neil Armstrong, ou la chute du mur de Berlin… mais à l’envers. Un truc qui marquerait à jamais le monde entier.

Un homme, d’apparence tout à fait respectable, en costume anthracite et chaussures parfaitement cirées, avait choisi ce moment surnaturel pour craquer complètement. Jetant littéralement sa sacoche en l’air, constellant ainsi le ciel d’une multitude de papiers divers qui avaient du avoir une importance avant que deux avions ne se jettent sur le symbole économique de la première puissance mondiale, il s’était mis à courir dans tous les sens, se tirant les cheveux, bousculant des passants qui ne lui avaient cependant pas jeté un seul regard, en hurlant : « C’est la fin !!! La fin du monde est sur nous !!! Nous sommes maudits !!! » Seul le docteur Shell, sortant de sa torpeur, avait perçu l’accès de folie de cet homme. Un vrai White Anglo-Saxon Protestant, qui avait sans doute paternellement caressé les cheveux de ses enfants, ce matin tandis qu’ils partaient sagement à l’école, qui avait déposé de façon distraite, avant de partir pour son bureau entretenir son futur infarctus, un léger baiser sur les lèvres de sa femme, à laquelle il n’avait sans doute pas du toucher depuis un moment, en bon cadre dynamique débordé, stressé et attiré par au moins trois secrétaires de son job.

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